Il n’y a que vingt kilomètres qui séparent le village de Kothiary de la ville de Tambacounda, dans le sud-est du Sénégal, mais les crevasses qui parsèment la chaussée obligent les automobilistes à la plus grande prudence. Les camions citernes qui roulent en direction du Mali se rabattent sur le bas-côté en latérite et envoient des nuages de poussière rouge dans les yeux. La nationale 1, refaite sur les 460 kilomètres qui séparent Dakar de Tambacounda, manque cruellement d’entretien une fois passée la capitale régionale. Comme si, à partir de là, les moyens avaient subitement manqué, laissant l’impression d’une région abandonnée.
À Kothiary, Abdoulaye Kanté, le maire, nous attend. Il a préparé une liste de six noms : ce sont les familles de son village touchées par des disparitions en Méditerranée. Dans la liste, il y a la famille de l’imam du village et une belle-sœur du maire. « Pour cette famille-ci, dit-il en pointant le sixième nom de la liste, c’est plus délicat. Ils n’ont pas vraiment accepté la disparition de leur enfant. C’est peut-être mieux de ne pas aller leur poser de questions, ce serait très difficile pour eux. »
Compter les morts. Je repense aux pompiers siciliens chargés de sortir les corps de la cale du chalutier qui m’ont fait comprendre ce que cela signifiait (lire l’épisode 1, « PM390047, un mort en Méditerranée »). Je vais passer les prochains jours à compter les morts à mon tour. À Kothiary, je compterai jusqu’à trois.