Ishaq Ali Anis, Aqeel Ansari, Mursal Sayas, Jamila Elyas Zada et Sami Ataee ont fui leur pays après l’arrivée des talibans dans la capitale afghane, le 15 août 2021 (lire l’épisode 1, « 7 000 km plus tard, Kaboul ne s’efface pas »). Lors de notre première rencontre en septembre, me servant de guide et d’interprète au Quick Palace, dans l’Essonne, l’hôtel où ils étaient hébergés à leur arrivée en France, Ishaq Ali m’a dit : « Dans cet hôtel, une génération est rassemblée. Celle qui a grandi durant les vingt ans de la démocratie. Nous avons bénéficié de l’éducation, de la liberté. Nous avons fréquenté les étrangers. Et tous, nous avons dû partir. » Mais comment vivaient-ils dans un Afghanistan décrit, en Occident, comme un pays perpétuellement en guerre ? De quoi était fait leur quotidien ?
Pour répondre à mes questions, la militante des droits de l’homme Mursal Sayas passe en revue les photos de sa vie d’avant. Elle me montre, par exemple, les clichés pris en mai dernier, lors d’une escapade avec sa sœur et ses amies au lac Qargha, en périphérie de Kaboul. Un havre de paix. Mursal sourit en me parlant. À l’entrée du parc, le même rituel se répétait : l’achat d’une couronne de roses sauvages jaunes fabriquée par des enfants pauvres. L’occasion de faire des selfies avec cet ornement sur la tête, un plaisir simple dans un quotidien qui ne la laissait guère souffler. Entre son travail à la Commission nationale des droits de l’homme, ses chroniques dans la presse, ses études reprises depuis son divorce et deux enfants de 3 et 5 ans, Mursal avait des journées bien remplies.
Chaque matin à 7 heures, elle quittait la maison où elle vivait avec dix autres membres de de sa famille, au volant de sa Toyota Corolla. Une voiture dont elle parle avec nostalgie. Sur une photo, je la vois au volant, tout sourire. Conduire ? Une compétence qu’elle chérit tant elle symbolise une indépendance chèrement acquise. Et une revanche quand son ex lui refusait ce droit. « J’ai acheté la voiture et passé le permis de conduire tout de suite après m’être séparée de mon mari », dit-elle. Depuis, elle était fière de transporter sa famille. Son fils raffolait de leurs promenades. Son père la complimentait, disant qu’elle conduisait mieux que ses frères. Sa mère, elle, en avait rêvé de ce permis de conduire, pour elle-même et pour ses filles. « En y repensant, je suis très émue », dit Mursal.
Sur l’écran de l’ordinateur, les photos défilent. Sur l’un des clichés, son fils aîné, habillé chic.