Shida Shahabi, Living Circle (130701/FatCat Records, 2023)
Est-on encore capable d’écouter ? D’écouter vraiment, à l’heure du trop-plein de musique et de contenus divers qui nous sont projetés chaque jour, chaque heure et chaque minute même, dans nos vies perpétuellement connectées ? C’est l’une des questions que nous pose la Suédoise Shida Shahabi avec son deuxième album, le profond et malléable Living Circle. Un disque de patience décidée, qui nous parle aussi de l’idée de plus en plus anachronique de ne rien faire et d’attendre. On en a tous et toutes besoin, ça fait souvent du bien de différer le moment d’agir ou de penser. Il faut donc prendre ce nouvel album de la jeune compositrice comme un espace de temps offert au vide, sans pour autant oublier la musique intense qu’elle y a gravée.
Les parents de Shida Shahabi ont fui l’Iran après la révolution islamique en 1979 pour s’installer à Stockholm, où elle a grandi à travers la pop perse rapportée dans leurs bagages, les succès européens de son enfance et, rapidement, un goût pour les scènes underground punk aussi bien que free jazz. Un clavier équipé d’une boîte à rythmes rachitique offert à ses 9 ans par sa grand-mère a achevé de la pousser vers la musique, qu’elle a pourtant fini par fuir après un début de formation académique qui, dit-elle dans ses interviews, commençait à l’enfermer par son exigence de rigueur et de perfection formelle qui n’était pas ce qu’elle y cherchait. Passée par les arts plastiques et notamment la vidéo, Shida Shahabi est peu à peu revenue à la musique quand ses professeurs lui ont fait remarquer que les sons baignaient tout son travail de monteuse sans qu’elle ne mette des mots sur cette envie. Ça a donné Homes en 2018, un premier album où elle utilisait un piano vieux de plus d’un siècle, buriné et fendu, pour rendre hommage à Erik Satie ou Claude Debussy dans des petites pièces pour piano préparé sous lesquelles elle glissait un deuxième monde qui, déjà, demandait une écoute attentive pour être entièrement saisi : des notes tendues et des ondoiements aux machines qui troublaient la perception du piano très organique.
Cet album de jeunesse tenait encore souvent de la tentative inaboutie, mais il a fait découvrir la musique très évocative de Shida Shahabi à plusieurs réalisateurs et réalisatrices de courts métrages pour qui elle développe depuis trois ans des compositions qui embarquent toujours ce piano mais s’intéressent davantage aux textures et à la temporalité de la musique qu’à la nécessité d’avoir des mélodies qui vont quelque part.