Ils sont souvent arrivés là par hasard. « Qui a dit qu’il voulait faire livreur chez Amazon quand il était petit ? Personne », résume Jean-François Bérot, syndicaliste Sud-Solidaires du géant du e-commerce à Saran, dans le Loiret. Lui était animateur socioculturel. « Mais il fallait que je couvre deux ou trois établissements scolaires pour faire mes 35 heures et la dernière annonce Pôle emploi m’envoyait à deux heures de route de chez moi. J’ai pris ce boulot il y a près de dix ans pour passer l’hiver au chaud et j’y suis encore », explique-t-il. Ce qui en fait l’un des très rares « anciens » de l’entrepôt de Saran, inauguré en 2007, le premier de très grosse taille en France, 100 000 m2 installés sur la zone industrielle « Pôle 45 », dans cette commune qui jouxte Orléans. D’après lui, il en reste « moins de cinq », de ces employés de la première heure. En cette veille de Noël, l’entrepôt tourne pourtant à 1 600 CDI et 4 000 travailleurs en comptant les intérimaires venus en renfort. « Ils viennent de toute la région, de Bourges, de Gien, de Montargis et même de Tours : ils vont les chercher de plus en plus loin, parce qu’à force de tirer dans le tas ils usent le bassin d’emploi, la durée de vie d’un salarié lambda chez nous, c’est moins de trois ans. »
Des emplois frais et pérennes, c’est pourtant le principal argument d’Amazon pour s’implanter sur un territoire. Le géant est aujourd’hui devenu l’ennemi public numéro un d’organisations écologistes mais aussi de commerçants qui l’accusent d’encourager la surconsommation toxique pour la planète, de bétonner des espaces et de détruire des emplois par concentration des activités. La fronde gronde désormais, comme à Montbert, en Loire-Atlantique, à vingt minutes au sud de Nantes, où une manifestation contre un projet d’implantation a réuni plus de 2 000 personnes le 28 novembre dernier, en plein confinement. Mais, il y a des années, à Saran, à Sevrey, en Saône-et-Loire, à Montélimar, dans la Drôme, ou à Boves, dans la Somme, ministres et élus ont déroulé le tapis rouge : chacun voulait sa part du miracle Amazon. Dans les entrepôts, cela tient plutôt aujourd’hui du mirage. « Quand vous sortez de là, une fois que vous avez fait vos 20 kilomètres quotidiens et que vous avez les pieds qui ne touchent plus par terre, vous ne voulez plus entendre parler de rien. C’est au-delà de l’épuisement, ça annihile psychologiquement », lance Jean-François Bérot.