Comme deux droites parallèles, leurs versions de la soirée ne se sont jamais croisées. Le 8 juillet 2009, à Montreuil, policiers et manifestants n’ont tout simplement pas vécu la même histoire. Ce soir-là, Joachim Gatti a perdu un œil et cinq autres personnes ont été moins gravement blessées. Trois policiers comparaissaient cette semaine pour « violences volontaires » au tribunal correctionnel de Bobigny. Après cinq jours d’audience très tendue, chaque camp ne peut que ressortir renforcé dans ses certitudes. Les policiers convaincus que la justice s’acharne, alors qu’ils se sont bornés à faire leur travail ingrat. Leurs victimes persuadées que la tournure favorable des débats ne saurait mettre un terme à des violences policières systémiques.
Ce 8 juillet 2009 à Montreuil, peu après 22 heures, les policiers ont vu un « groupe hostile » avancer sur eux et leur jeter des projectiles, les forçant à rétablir l’ordre. D’abord sur la place du marché, devant la Clinique, un squat expulsé le matin même, puis 200 mètres plus loin, sur l’esplanade du métro Croix de Chavaux. Les manifestants parlent d’un rassemblement pacifique qui s’est s’évaporé à la vue de la police. Une débandade pendant laquelle ils se sont fait « canarder » au flashball. Six personnes ont été touchées, dont Joachim Gatti, éborgné à 35 ans.
Le principal prévenu, le gardien de la paix Patrice L., a failli passer aux assises pour avoir pris cet œil. Pour avoir « tué quelque chose » en Joachim Gatti, qui se sent non seulement « défiguré » mais « brisé dans son identité première ». Caméraman à l’époque des faits, il a changé de métier.
Le policier de 40 ans reconnaît deux tirs de flashball et revit la scène à l’audience. Place du marché, il avait chaussé un vieux casque « à la visière rayée ». Sa visibilité est alors « altérée » mais « suffisante ». « Je ne veux pas les laisser avancer plus. » Il ne vise pas, mais « désigne », c’est-à-dire oriente son arme vers le groupe, puis tire. La justice lui reproche d’avoir touché un premier manifestant au front. Celui qui s’est enfui en criant « ils tirent à la tête, ils tirent à la tête ! » Le policier recule, tire encore. Dans l’œil de Joachim Gatti ? Le policier le répète : il pense n’avoir touché personne. Il n’a vu aucun blessé. Gatti se souvient d’avoir été « KO, un genou à terre ». Des manifestants l’ont aidé à se réfugier dans un café. Un camion de pompiers est arrivé quelques minutes plus tard.