C’était il y a trois ans. Pour défendre quelques arbres dans le parc Gezi, planté sur un vieux cimetière arménien dans le centre d’Istanbul, un mouvement de protestation se transformait en vaste résistance, fédératrice, joyeuse, créatrice, contagieuse, faisant peur au pouvoir et donnant beaucoup d’espoir aux militants, dans un pays plus habitué jusque-là aux coups d’État qu’aux révoltes populaires. Trois ans plus tard, Gezi est devenu un nom commun, les militants turcs parlent de l’esprit de Gezi
, s’appellent encore les « gezici », les « gezica » (prononcer « gezidji » ou « gezidja »). Enfants d’un moment mythique, différent, qui ressemble assez peu aux printemps arabes. La Turquie émergeait alors économiquement, sortait de quelques années marquées par des avancées démocratiques qui ont peut-être attisé les envies de liberté. Gezi a bouleversé la vie de beaucoup de ceux qui l’ont vécu et demeure un moment-clé pour comprendre où en est la Turquie aujourd’hui.
Cette première fois, je suis restée jusqu’à 3 heures, puis je suis revenue tous les jours.
Ce 27 mai 2013, Buket Türkmen fait cours à l’université de Galatasaray. « Il y a eu quelques tweets, raconte la sociologue, je savais que des gens essayaient d’empêcher un engin de tronçonner des arbres à Gezi. Un sit-in pacifique. Je n’étais pas quelqu’un de très mobilisé à l’époque. Je ne viens pas d’une famille politique, je n’avais pas d’engagements. En sortant de cours, je suis passée au parc. C’était comme un festival, il y avait de la musique, ils offraient du café, du thé, c’était gai. Un député HDP, Sirri Sürreyya Önder, élu très respecté, cinéaste torturé dans les années 80, s’était placé devant l’engin de chantier. Cette première fois, je suis restée jusqu’à 3 heures, puis je suis revenue tous les jours. » L’esprit de Gezi l’avait prise.
Le premier matin, la police brûle la vingtaine de tentes installées là, puis, dans les jours suivants, les forces de l’ordre se montrent de plus en plus violentes. Certains policiers masquent sur leur casque les numéros de matricule qui pourraient permettre de les identifier. Cette brutalité solidarise le quartier et renforce la mobilisation. La place Taksim, mitoyenne du parc, connaît trois semaines d’affrontements, de débats, de mobilisations festives.
À l’origine de la volonté d’abattre les arbres, un projet dicté à la municipalité par le chef du gouvernement, Recep Tayyip Erdogan, ancien maire de la ville devenu depuis Président. Il veut faire construire dans le parc la réplique d’une