Envoyé spécial à Istanbul
Une neige fine tombait sur Istanbul ce jour-là. Un après-midi de janvier 2016, j’avais rendez-vous chez Nazli Ilicak, éditorialiste et ex-députée (Fazilet), pour parler de la Turquie, de ses journalistes, et de la liberté d’informer qui allait déclinant dans ce pays où elle n’a pourtant jamais été bien vaillante. Nous avions passé deux heures dans sa belle maison accrochée au-dessus du Bosphore, elle allait devenir l’un des personnages de cette obsession. Depuis, les choses se sont précipitées : Nazli Ilicak a été arrêtée ce mardi matin. Un mandat d’arrêt avait été lancé contre elle et 41 autres journalistes la veille, par un procureur chargé de terrorisme et de crime organisé, rien de moins. Son arrestation illustre assez bien les amalgames à l’œuvre dans la purge en cours en Turquie (lire l’épisode précédent, « La Turquie accuse l’après-coup »)… L’éditorialiste, âgée de 72 ans, figure libérale du pays, est accusée d’être proche du mouvement Gülen, que le pouvoir en place soupçonne d’avoir fomenté la tentative de coup d’État du 15 juillet.
Nazli Ilicak est une femme assez inclassable. Très indépendante et donc, pour le pouvoir, bien trop incontrôlable. Issue de la grande bourgeoisie stambouliote, elle descend d’un pacha qui avait émigré de Géorgie vers Constantinople sous l’Empire ottoman – en Turquie, on utilise parfois l’expression « les Turcs blancs » pour parler de cette élite originaire des Balkans et du Caucase. Son père avait tâté avant elle de la politique (Parti démocrate, centre droit) et aussi de la prison : il était ministre des Transports d’Adnan Menderes, premier chef de gouvernement élu démocratiquement en Turquie, et dont l’exécution, en 1961, a marqué profondément la droite turque.
La fille de l’ex-ministre a étudié au prestigieux lycée catholique français Notre-Dame-de-Sion, à Istanbul, avant de poursuivre avec des études de sciences politiques à Lausanne, en Suisse. Elle se marie à la sortie avec le propriétaire du quotidien Tercüman (L’Interprète), où elle devient aussitôt éditorialiste – elle prendra la tête du journal à la mort de son mari, en 1993.
Je considère qu’il vaut mieux qu’une femme soit voilée à l’Assemblée plutôt qu’exclue de la démocratie. L’émancipation passe par là.
Politiquement, Nazli Ilicak est sur une ligne libérale. Dans tous les sens du terme. Elle défend l’économie de marché et l’ultra-libéralisme ; la liberté d’expression, de religion.