Alors qu’en Allemagne, le colonel Anwar Raslan est jugé pour crimes contre l’humanité (lire l’épisode 5, « Au procès d’Anwar Raslan, “rouage d’une machine criminelle” »), certains procès semblent impossibles. Celui qu’Obeida Dabbagh appelle de ses vœux n’aura peut-être jamais lieu. Et pourtant, ce Franco-Syrien s’accroche toujours à cet espoir ténu. Pour la mémoire de son frère et de son neveu. Obeida Dabbagh n’oubliera jamais ce coup de fil de Damas, le 8 novembre 2013. En banlieue parisienne, où il habite avec sa famille, c’est une veille de week-end comme une autre. Météo morose, fatigue de la semaine écoulée. Jusqu’à ce que le téléphone sonne. À l’autre bout du fil, sa belle-sœur, à Damas : « Mazen et Patrick ont été arrêtés par les renseignements. Ça fait quatre jours, je n’ai aucune nouvelle. Vois ce que tu peux faire. »
Obeida est ingénieur dans une grande entreprise française. De mère française et de père syrien, il est né à Alep en 1952, a grandi en Syrie. Le pays de sa mère, il y débarque au début des années 1980 pour finir ses études. « Je pensais revenir en Syrie et puis j’ai trouvé sans difficulté du travail ici. Hanane, ma femme, m’a rejoint et on a fini par faire notre vie en France », résume-t-il. Son frère Mazen, lui, n’a pas quitté la Syrie. Depuis une vingtaine d’années, il travaille comme conseiller principal d’éducation au lycée français de Damas, tente d’instiller un peu de bon sens et de valeurs dans la tête des rejetons adolescents des plus grandes familles de la ville. Sans être engagé, Mazen porte un regard lucide sur le système politique dans lequel il vit et ne se prive pas de titiller la future élite au pouvoir. « Mon frère a toujours été critique par rapport à ce qui se passait en Syrie, raconte Obeida Dabbagh, Il avait son franc-parler, qu’il tempérait par un inébranlable sens de l’humour. Ça lui valait l’amitié de ses collègues et le respect des parents d’élèves, qui le trouvaient malgré tout sympathique. » Son fils, Patrick Abdelkader, étudie la psychologie à l’université. À l’automne 2013, il est en deuxième année.
C’est lui que les « mukhabarat » viennent chercher, le 3 novembre 2013. Ce soir-là, vers 23 heures, cinq hommes débarquent dans la belle maison cossue où la famille réside à Mezzeh, en banlieue de Damas. Ils déclarent appartenir aux renseignements de l’armée de l’air.