Gracile, manteau clair et longs cheveux bruns, Hema trace son chemin à travers le campus, parfois dépassée par des étudiants au pas pressé. Ils sont plus de 30 000 inscrits à la faculté de Nanterre. Ils se croisent, se côtoient, sans forcément se parler, forment des flots que les amphis absorbent et recrachent une heure plus tard. Ils traversent les couloirs, les pelouses, petites silhouettes colorées et souvent solitaires. Hema Jeebodhun tourne le dos au bâtiment de droit, longe la « Maison de l’étudiant », délaisse les allées d’arbres et arrive sur un parking. Juste à côté, un bâtiment blanc délavé ressemble à un préfabriqué XXL. C’est là qu’Hema, inscrite en première année de droit français et allemand, a cours de traduction. À l’extérieur, un petit groupe de cinq personnes attend sur les marches le début du TD (travaux dirigés), prévu dans une demi-heure. Hema s’approche du cercle. Elle en fait partie. Ils se connaissent, s’interpellent en souriant. Leur familiarité est pourtant toute récente. Il y a trois semaines, ils étaient de parfaits inconnus les uns pour les autres. À la fac, chacun fait comme il peut pour contourner l’anonymat et l’atomisation des individus.
Hema ne s’attendait pas à se faire des amis à l’université. « Je me disais : “Je viens, je taffe, je pars.” Je partais du principe que j’allais être seule, ça ne me dérangeait pas. » Mais elle s’est retrouvée dans une filière bilangue, avec un effectif réduit d’une trentaine d’étudiants. Contrairement à d’autres disciplines, les mêmes étudiants se retrouvent d’un cours à l’autre. « C’est comme une classe dans un énorme lycée, commente Hema, ça peut aider. » Une copine, avec qui elle doit faire un exposé en allemand sur les Lumières qui les a occupées une dizaine d’heures, approuve : « J’ai une amie en lettres, elle est paumée, elle ne voit jamais les mêmes gens, elle n’arrive pas à s’intégrer : avec qui s’intégrer ? »
La constitution d’une petite communauté a commencé assez naturellement par des échanges de cours. « Un groupe Facebook s’est fait très vite, raconte Hema. C’est une redoublante qui l’a créé. » Puis les étudiants ont mis en place un partage de documents sur le service de stockage en ligne Dropbox où ils archivent les cours. Hema l’utilise : « Ça fait un filet de sécurité, c’est rassurant. » Ses nouveaux copains sont plus circonspects. L’une trouve que c’est