Place de la République, Bar des sports de Lunel : c’est ici qu’a lieu notre première rencontre avec Tahar Akermi, fin mars 2016. En écrivant ces mots, je souris en pensant à ces drôles de symboles. Cet éducateur de 48 ans est précisément un républicain total qui n’a pas besoin de grands discours pour incarner le meilleur de ses valeurs ; il est aussi un sportif de haut niveau qui transmet sa science des arts martiaux dans un club de sports depuis près de 30 ans.
Pour beaucoup de journalistes venus à Lunel scruter les affres des départs pour le jihad dans cette petite ville de l’Hérault, Tahar Akermi est un point d’entrée idéal. A priori, « le bon client », comme dit le cliché du métier, pour comprendre les enjeux locaux et bénéficier de ses contacts. Il apparaît à travers des citations ciselées dans des articles du New York Times, du Monde, de Vanity Fair et d’une kyrielle d’autres médias. Mais lui tient le cliché à distance et a horreur de tout ce qui réduit la complexité humaine à quelques phrases.
Lors de ce premier contact donc, nous n’avons pas pris de notes. Ce jour-là, c’est d’ailleurs surtout lui, casquette sur la tête, qui nous interrogeait avec acuité. Quelle était notre démarche ? Où voulions-nous en venir en parlant du foot amateur comme un possible miroir de la ville ? Comment fonctionnaient Les Jours avec nos obsessions et nos épisodes, dont il a tout de suite perçu les notions de temps long, d’immersion et de profondeur ? Pas dupe pour autant ; derrière le foot, c’était bien encore et toujours la même question qui nous taraudait : pourquoi plus de vingt jeunes Lunellois, dont au moins huit sont morts, étaient partis combattre en Irak et en Syrie dans les rangs de l’État islamique. Et bien sûr, Tahar connaissait très bien la plupart d’entre eux, leur famille aussi, leurs amis.
Ceux qui m’inquiètent ici sont ceux qui ne me parlent plus.
Nous sommes restés assez longtemps ce soir-là au Bar des sports avec Tahar et Julien Goldstein, le photographe de cette obsession Lunel football clubs. J’ai finalement noté cette phrase de Tahar en sortant rejoindre la voiture : Ceux qui m’inquiètent ici sont ceux qui ne me parlent plus.
Nous avons par la suite beaucoup discuté au téléphone avec Tahar et on s’est souvent revus aussi, à la cité de La Roquette avec des femmes du quartier et Leila Saïd, entraîneuse de l’équipe des filles de l’US Lunel (lire l’épisode 2, « Trois clubs, trois ambiances »), et au Bar des sports de nouveau…
La dernière fois, c’était début juin, au siège de son association Arts et cultures, sise sur une jolie place du centre-ville.