Mohamed Abdelneby ne lâche jamais des yeux son enveloppe en papier kraft maintenant bien froissée après deux ans à l’avoir trimballée de gauche à droite. Soigneusement pliée en deux, posée sur une étagère de la cuisine où il travaille, elle contient trois documents : sa carte d’identité tchadienne, sa fiche d’adhérent au club de football de N’Djamena de deuxième division Stars Jeunes Talent, et un accusé de réception d’une demande de bourse qu’il a envoyée à l’ambassade américaine au Tchad.
Il ne parle pas d’or quand on entame la discussion. À 18 ans et et 1,92 mètre, il est défenseur au foot, raconte le dernier match de Liga avec enthousiasme, tout en servant le thé – à la mode soudanaise avec clous de girofle, gingembre et une large dose de sucre – aux clients. Mohamed Abdelneby est arrivé il y a un mois après un long périple à la recherche de la bonne opportunité footballistique, et désormais aurifère. Il n’a pas encore été sur un site d’orpaillage. Il n’était pas sur place mardi 21 février quand les fiévreux se sont rués (lire l’épisode 1, « En Mauritanie, l’or leur met la fièvre ») : trop occupé à préparer les thés. « Je gagne 2 000 ouguiyas par jour, au moins, c’est ça de pris. » 2 000 anciens ouguiyas, c’est 5,4 euros.
Comme des centaines de milliers d’autres jeunes optimistes au Sahara, il a pris la route en espérant trouver de l’herbe plus verte ailleurs. S’il y a une dizaine d’années, la mode était à « l’aventure » – comme on appelle en Afrique de l’Ouest la migration vers l’Europe –, les jeunes Sahariens se tournent désormais vers l’or. Les vidéos des ghettos libyens de migrants et les nombreux naufrages en Méditerranée ont tempéré l’enthousiasme de beaucoup d’entre eux, qui voient dans cette nouvelle migration, d’est en ouest, de l’espoir et surtout moins de risques. Depuis la découverte de l’or au Sahara, « une nouvelle forme de migration a fait son apparition entraînant l’arrivée sur le territoire [nigérien] de plusieurs dizaines de milliers de personnes attirées par ces nouvelles opportunités économiques », détaillaient en 2022 les autorités régionales du nord du Niger.
Depuis le Soudan jusqu’en Mauritanie, une migration intra-africaine s’est mise en place dans l’ombre du médiatique flux migratoire Afrique-Europe. Les frontières au Sahara sont de papier, le contrôle des États sur ces espaces désertiques absent, et les rares postes-frontières évitables, si tant est qu’on ait un bon chauffeur.