Cinq ans après sa tonitruante démission et son retrait de la vie politique, Stéphane Gatignon, 53 ans, désormais entrepreneur indépendant dans le conseil, a toujours des idées et un avis bien tranché. De 2001 à 2018, il a été maire (PCF, Europe Écologie - Les Verts puis Parti écologiste) de Sevran, en Seine-Saint-Denis, l’une des communes les plus pauvres du département le plus pauvre et le plus jeune de France. Ces derniers jours, les émeutes y ont fait rage après la mort de Nahel M., 17 ans, tué par un policier à Nanterre (lire l’épisode 1, « Nahel M. : les tremblements de Nanterre secouent les quartiers »). Stéphane Gatignon avait été parmi les premiers édiles de France à claquer la porte, s’estimant lâché par l’État, à bout. Si son geste avait fait du bruit, les raisons profondes de son départ avaient été largement minimisées. Ce banlieusard pur jus avait jalonné ses trois mandats de coups d’éclat en appelant à la légalisation du cannabis avant tout le monde, en demandant l’intervention des Casques bleus dans les cités de Sevran en proie au trafic ou encore en menant une grève de la faim de plusieurs jours en 2012, campé dans une tente plantée au pied de l’Assemblée nationale afin d’obtenir plus de subventions pour les communes les plus démunies. Sur ce point, il avait réussi à tordre le bras de l’État qui les avait fait bénéficier en priorité de la hausse des budgets d’alors. Las, dit-il, « aucune leçon n’a été tirée ». Pour la première fois depuis 2018, cette ancienne figure emblématique des banlieues sort du silence et dresse un sombre portrait du pays et de la crise qu’il traverse. Entre volonté de désarmement de la police, crainte d’une prise de pouvoir de l’extrême droite et analyse de l’isolement des communes de banlieue, Stéphane Gatignon se confie aux Jours.
Il y a cinq ans, vous aviez démissionné parce que vous aviez le sentiment que les banlieues étaient délaissées. Rien ne semble avoir changé. Comment en est-on arrivés à la crise actuelle ?
Au-delà du délaissement, la rupture qui existait s’est accrue et le délitement s’est accentué. C’est un fossé marqué par l’absence de connaissance de la banlieue. Les pouvoirs publics n’ont pas écouté les acteurs de terrain et ce que je dénonçais ne s’est pas amélioré. Depuis dix ans, on ne fait qu’opposer les populations entre elles. Les musulmans, les non-musulmans, les croyants, les non-croyants, les jeunes, les vieux… Tout le monde est opposé et se structure dans cette opposition.