Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenus : Daniel Seghir, né le 4 février 1945 à Alger, en Algérie, chef barman, divorcé, un enfant, demeurant 3, rue Caumartin à Paris IXe, de nationalité française.
Raymond Bentoumi, né le 19 septembre 1939 à Alger, en Algérie, coiffeur, marié, deux enfants, demeurant 3, avenue Louise à Nieuport, en Belgique, de nationalité française.
Attendu qu’il résulte de l’information et des brefs débats que Bentoumi s’est introduit le 9 septembre 1972, en escaladant une fenêtre, dans le pavillon occupé à Gagny, 2, avenue Montgolfier, par Adnet Liliane, une ancienne prostituée et son ami, le sieur Borderie Roland. Attendu qu’il est constant que Bentoumi, qui tenait à la main un pistolet, en menaçant Borderie et la dame Adnet, fit ouvrir la porte à son demi-frère Seghir et après avoir fouillé certains meubles, obtint de la dame Adnet qu’elle remette des bijoux à Seghir qui les confia ensuite à Bentoumi. Attendu que les deux prévenus accompagnés de la dame Adnet quittèrent les lieux dans leur voiture ; que Bentoumi se rendit avec la dame Adnet dans une chambre d’hôtel où il la frappa à coups de poing et à coups de crosse de revolver pour la forcer à renouer des relations avec lui et reprendre la vie commune ; qu’il réitéra par la suite sa tentative, à différentes reprises et notamment en Belgique où il devait l’emmener le 16 septembre 1972 pour obtenir d’elle qu’elle se prostitue pour lui, ce qu’elle refusa de faire.
Attendu que Seghir ne pouvait ignorer que les bijoux à lui remis par dame Adnet sous la menace de Bentoumi n’appartenaient pas à celui-ci, et que sa participation, bien que moins active sans doute que celle de Bentoumi, n’en possède pas moins les caractères d’une coaction qui permet au tribunal de le retenir dans les liens de la prévention. Attendu que les faits reprochés à Bentoumi, notamment les faits de violences avec arme sur la personne de Mansuy Hortense, son ex-épouse, de vol d’une somme de 150 francs à son préjudice, de tentative de proxénétisme en essayant de recevoir des subsides de celle-ci, qualifiés d’amendes, sont matériellement établis, ainsi que l’infraction à l’arrêté d’interdiction de séjour. Attendu que Bentoumi a frappé dame Mansuy à coups de poing et à coups de ceinture, le 4 septembre 1972, vers 22 h 30, au domicile de celle-ci où il s’introduisait en usant d’un subterfuge et alors qu’il venait de sortir de prison, le jour même, après avoir purgé une peine de seize mois d’emprisonnement pour proxénétisme. Attendu que les faits de violence sont établis tant par la déposition de la dame Mansuy que par celle de la demoiselle Masci, qui se trouvait dans l’appartement et qui, au surplus, a entendu Bentoumi réclamer à son ex-épouse, prostituée notoire, une “amende” de 25 000 francs.
Attendu que la prévention est établie contre Bentoumi et Seghir, dans tous ses chefs, qu’il convient de faire une application ferme et relativement sévère de la loi, notamment à l’encontre de Bentoumi, déjà plusieurs fois condamné. Attendu cependant qu’il existe en la cause en faveur de Seghir des circonstances atténuantes. Attendu que par arrêt en date du 8 janvier 1972, rendu par la 10e chambre de la cour d’appel de Paris, antérieurement aux faits, objet du présent jugement, Bentoumi a été condamné à la peine de seize mois d’emprisonnement pour infraction à arrêté d’interdiction de séjour et proxénétisme, délits commis en avril 1971 ; qu’il se trouve de ce fait en état de récidive légal.
Attendu que la dame Mansuy Hortense intervient dans l’instance comme partie civile et demande qu’il plaise au tribunal de condamner Bentoumi à lui payer la somme d’1 franc à titre de dommages et intérêts ; que son action recevable en la forme est de plus fondée ; qu’en effet par suite des agissements délictueux du prévenu, elle a éprouvé un préjudice certain, dont à bon droit elle demande réparation ; que le tribunal déclare la faire bénéficier du franc symbolique de dommages et intérêts.
Le tribunal déclare Seghir convaincu et coupable de vol ; déclare Bentoumi convaincu et coupable de coups et blessures volontaires avec arme, vol, infraction à la législation sur les armes et munitions, tentative de proxénétisme en récidive, et infraction à arrêté d’interdiction de séjour en récidive ; condamne Seghir à la peine de huit mois d’emprisonnement, Bentoumi à la peine de trois ans d’emprisonnement et trois ans d’interdiction de séjour à dater du jour où il aura subi sa peine ; vu la gravité des faits, vu les réquisitions spéciales du ministère public, décerne un mandat d’arrêt contre lui, ordonne la confiscation de l’arme et reçoit la dame Mansuy Hortense, partie civile, et condamne Bentoumi à lui payer la somme d’1 franc à titre de dommages et intérêts. »