Aucune annonce au journal télévisé du soir, pas de manifestations d’écologistes dans la rue, quelques articles dans la presse… Alors que, ce 1er février 2024, la hausse du prix de l’électricité de près de 10 % fait les gros titres, c’est dans l’indifférence générale que, le 7 juillet 1986, Michel Rolant, président de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME), annonce la fermeture de Thémis, la première centrale solaire française d’importance, après trois ans d’exploitation. Pour atténuer la nouvelle, le responsable de l’établissement public (ancêtre de l’Ademe) promet, au cours d’une conférence de presse, que « la fin de Thémis n’est pas celle des énergies renouvelables en France » car la « centrale a tenu ses promesses et confirmé les hypothèses techniques et économiques ». En fait, cette décision constituera le glas des gros projets publics innovants que la France avait pris l’habitude de lancer depuis la Seconde Guerre mondiale et dont on vous raconte l’histoire dans cette série. Avec son nom emprunté à la mythologie grecque, l’échec de Thémis prend même une dimension tragique : durant sa courte vie, la centrale a été victime de la mauvaise volonté des pouvoirs publics, de la résistance des pronucléaires, mais aussi d’incendies et de tempêtes. Comme si le mauvais sort s’était acharné sur cette tentative de produire de l’énergie « propre ».
À l’origine de Thémis, il y a un programme lancé en 1975 par le CNRS et EDF. Il est baptisé THEM pour « Thermo-hélio-électrique-mégawatt ». Juste après le premier choc pétrolier, l’organisme scientifique et l’électricien public veulent s’appuyer sur les recherches menées par Félix Trombe sur les fours solaires (lire l’épisode 4, « Le four qui a fait un four ») et se servir du soleil de la même manière qu’on utilise le charbon dans les centrales thermiques : comme un combustible qui transforme de l’eau en vapeur afin d’activer une turbine et entraîner un alternateur. Plus précisément, la technique imaginée prévoit que des dizaines de miroirs (des héliostats) réfléchissent la lumière sur une chaudière installée sur une tour et fassent ainsi chauffer des tuyaux caloporteurs remplis de sel fondu, puis que ce liquide porté à haute température soit stocké dans des réservoirs afin de faire fonctionner une turbine même la nuit. Cette méthode de production d’électricité est très différente de la plupart des panneaux photovoltaïques actuels, mais elle n’est pas du tout obsolète.