La « start-up nation » souffre d’un problème de fond : elle n’a pas de passé, pas de mémoire. Autant les « jeunes pousses » font un peu de bruit quand elles naissent, autant, après quelques années, la plupart tombent dans l’oubli. Ont-elles réussi à grossir et à créer de l’emploi ? Sont-elles mortes ? Mystère. Si l’on estime à environ 9 000 à 10 000 le nombre de start-up françaises à un instant T, on ignore précisément combien se créent et combien disparaissent. Certaines sources assurent que le taux d’échec oscille entre 50 et 90 % après la traversée de la « Vallée de la mort », ce tunnel qui en terrasse beaucoup entre un et trois ans. D’autres sont rachetées par de plus grosses entreprises. Est-ce une victoire ou un moindre mal, le seul moyen d’éviter la faillite ? Les annonces de rachat ne disent rien des dilemmes des fondateurs. On ignore aussi si les start-uppeurs, souvent très jeunes, poursuivent passée la trentaine. Ou si la soif d’entreprendre, tant adulée dans les grandes écoles (lire l’épisode 3, « HEC, pouponnière à start-up »), s’émousse avec l’âge. Les succès font parler d’eux, les échecs spectaculaires aussi (lire l’épisode 8, « Take Eat Easy : prend l’oseille et défile toi »), mais les destins banals échappent aux radars.
Pour se faire une idée, Les Jours ont remonté le temps jusqu’en 2011, autant dire le Moyen Âge. Cette année-là naissait Le Camping, le premier incubateur parisien – c’est-à-dire une structure proposant des services, des conseils et des locaux aux très jeunes boîtes –, installé au Palais Brongniart, l’ancien bâtiment de la Bourse de Paris. L’initiative venait de Silicon Sentier, association de start-up créée dans les années 2000, rebaptisée Numa depuis. Le tout début d’une mode qui n’a fait que s’étendre depuis. Pour la première fois, douze jeunes boîtes étaient sélectionnées et accompagnées pendant six mois, sur le modèle des « accélérateurs » américains, comme Y Combinator. Près de sept ans après sa sortie de couveuse, la première « promo » est suffisamment mature pour faire l’objet d’un bilan. L’échantillon est arbitraire, mais les résultats sont assez révélateurs : aucune « licorne » – les success stories type Blablacar, Airbnb, Uber – n’a vu le jour, cinq start-up (41 %) ont survécu, trois ont été rachetées (dont une par Twitter) et quatre ont disparu. Bilan des emplois créés : environ 120 postes. Autant qu’une grosse PME.
Retracer leur parcours après la sortie du Camping n’est pas aisé. Plusieurs ont changé de noms.