En 2021, nous avons décidé, aux Jours, de publier une série en huit épisodes pour marquer le dixième anniversaire de la mort d’Amy Winehouse et accompagner une série audio écrite pour France Culture. Chacun des épisodes raconterait un bout d’Amy Winehouse, mais aussi son environnement familial et professionnel, jusqu’à ce 23 juillet 2011 où elle fut retrouvée sans vie par son garde du corps, après une nuit qui s’était pourtant mieux passée que beaucoup dans sa vie noyée par trop de larmes et trop de drogues. C’est cette série qui devient aujourd’hui un livre coédité par Novice et Les Jours, la dixième adaptation d’une de nos séries en livre, des Revenants (Le Seuil, 2016) à Scènes de crime (Flammarion, 2022). Pour la première fois, vous pouvez le précommander sur notre site avant sa sortie officielle, le 9 avril.
J’avais deux priorités en commençant ce travail d’enquête. En premier, dire que la chanteuse britannique, à qui la presse qui ne s’intéresse pas à la musique a systématiquement collé des adjectifs dégradants, était avant tout une autrice et une compositrice de tout premier plan dans son époque, une forte tête qui a imposé la musique qu’elle voulait et rien d’autre. Puis questionner la responsabilité de l’écosystème qui a accompagné son éclosion très rapide avant de la pousser sur des scènes où elle n’était plus en état de chanter. De son vivant, la vie bousillée d’Amy Winehouse faisait sourire, on se moquait de ses nuits passées seule avec une bouteille sur un banc de Londres, de ses disparitions soudaines d’où elle émergeait avec des bleus partout. C’était comme un folklore déjà personnalisé par d’autres avant elle, le mythe sex, drugs & rock’n’roll qui se déployait jusqu’à l’extrême devant l’objectif des photographes qui passaient tellement de temps devant chez elle qu’elle les connaissait par leurs prénoms. Puis sa mort a glacé tout le monde et marqué un point de bascule, dans la musique et plus largement dans la société, sur la fragilité mentale et physique des artistes.
La principale difficulté de cette enquête, c’est que la famille d’Amy Winehouse n’y apparaîtrait pas en entretien. Sa mère ne donne plus d’interviews et son père demande à être payé pour cela (au bénéfice de la Amy Winehouse Foundation), ce qui est une pratique que nous refusons aux Jours. Il m’a donc fallu faire avec leurs livres respectifs, en les traitant comme des documents à questionner. Impossible, aussi, de poser des questions à Blake Fielder-Civil, l’ex-mari de la chanteuse qui l’a tant maintenue dans une dépendance aux drogues dures : il fait profil bas depuis son décès. Il m’a donc fallu arpenter les innombrables documentaires, interviews et reportages diffusés à l’époque pour retracer l’histoire d’Amy Winehouse, puis y confronter le récit de celles et ceux qui l’ont croisée. La styliste qui l’a accompagnée de Back to Black jusqu’à la dernière tournée qui n’a pas eu lieu, l’attachée de presse d’Universal France, celui qui a organisé ses concerts chez nous ou encore le programmateur du festival des Eurockéennes, où elle a donné son seul (très) bon concert en France. J’y étais, en 2007, et c’est un souvenir qui a probablement inconsciemment motivé cette enquête née de la frustration de ne pas avoir pu profiter plus longtemps de sa musique.
Je me souviens parfaitement de l’annonce de la mort d’Amy Winehouse, tombée sur les téléphones alors que j’étais en plein Midi Festival à Hyères, près de Toulon. La soirée, bercée par le vent dans les jardins de la villa Noailles, s’est comme recouverte d’un voile gris. Tout le monde connaissait sa musique et tout le monde aimait Amy Winehouse. C’est même l’enseignement le plus marquant de cette enquête : en un seul album qui s’est imposé d’un coup, Back to Black, elle a traversé les générations et les musiques comme très peu d’artistes avant elle. Et cette évidence continue encore aujourd’hui, éternelle comme ses chansons d’amour brisé. Amy Winehouse aurait dû faire partie de nos vies plus longtemps, ce livre tente d’expliquer comment tout a inexorablement déraillé.