La déclaration était inattendue et elle marque l’effritement d’un pouvoir qui commence à craquer : l’armée algérienne abandonne Bouteflika. Le coup de théâtre est survenu après six semaines d’une protestation populaire intacte (lire l’épisode 1, « L’Algérie de se voir si belle ») : dans un discours diffusé en direct sur la télévision publique algérienne ce mardi, Gaïd Salah, le chef de l’état-major, a appelé à déclarer Abdelaziz Bouteflika inapte à gouverner. En écho, dès ce mercredi, c’est un autre fidèle du Président, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, remercié le 12 mars dernier, qui demande son départ.
Depuis le siège militaire de la ville d’Ouargla, en plein Sahara, Gaïd Salah a invoqué l’article 102 de la Constitution algérienne : il établit que le président de la République peut être démis de ses fonctions « pour cause de maladie grave et durable » lorsqu’il se trouve « dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions ». Une condition totalement remplie tant semble précaire la santé d’Abdelaziz Bouteflika depuis son AVC en 2013.
Depuis une semaine, Alger baignait dans un fort climat de tension et les habitants attendaient vendredi prochain pour exprimer leur détermination, lors de nouvelles manifestations. Alors, peu après l’annonce de Gaïd Salah, les klaxons se sont fait entendre dans plusieurs quartiers de la capitale… avant de vite s’éteindre. Connaissant la proximité du général Salah avec le pouvoir, les Algériens se sont mis à douter. L’homme a toujours soutenu le Président dans son souhait de briguer un cinquième mandat. Proche du clan Bouteflika, âgé de 79 ans et à la tête de l’armée depuis 2004, il est un symbole du pouvoir. Gaïd Salah commandait l’armée de terre pendant la « décennie noire » et il est aujourd’hui à la tête de la seconde armée la plus puissante d’Afrique. Surnommé « El Gaïd », il est célèbre pour ses discours menaçants, prononcés en tenue officielle depuis des bases militaires. Théâtral, il a l’habitude de hausser le ton face à un public de soldats et d’officiers qui prennent consciencieusement des notes.
Dans son discours ce mardi, il a commencé par saluer le caractère non violent et civique des manifestations qui secouent l’Algérie depuis février : « La situation de notre pays est marquée, en ces jours, par des marches populaires pacifiques, organisées à travers l’ensemble du territoire national, revendiquant des changements politiques. » Une nouveauté chez celui qui, au début du mouvement, tonnait et mettait en garde contre les « forces malintentionnées (…) qui veulent que l’Algérie retourne aux années de la souffrance et de la braise ».