On se sent très isolé quand on est un travailleur sur Amazon Mechanical Turk, la plateforme créée par le géant du web pour mettre en relation des travailleurs et des employeurs ayant besoin de louer un peu de cerveau humain pour accomplir des tâches que les ordinateurs peinent à réaliser seuls. Tout le monde ou presque peut y accéder, mais le turker y avance à tâtons, sans pouvoir savoir avec certitude pour qui il travaille et à quoi servira ce travail.
Chaque Human Intelligence Task (ou HIT, le nom des tâches sur « MTurk », le sobriquet d’Amazon Mechanical Turk) va avec des explications plus ou moins fournies. Deux lignes suffisent parfois, mais certaines nécessitent deux pages de description et de précisions, voire carrément un tuto vidéo. Plus rarement, il y a un email pour poser une question, mais le turker en sera réduit la plupart du temps à interpréter ce qu’on lui demande, à se tromper, voire à ne pas réaliser la tâche correctement et donc à ne pas être payé à la fin. De même, les employeurs n’ont aucun compte à rendre : s’ils considèrent que vous n’avez pas fait le boulot dans les règles, ils peuvent ne pas vous rémunérer mais utiliser ce travail quand même.
Seule l’organisation de la foule protège un tant soit peu les turkers. Sur Turkopticon ou Turkerview, des sites créés par des travailleurs, les plus actifs d’entre eux notent les employeurs : la fréquence des tâches proposées, le salaire horaire, la rapidité du paiement et l’honnêteté. Un patron indélicat se fait donc rapidement repérer… Mais il trouvera toujours des nouveaux travailleurs pour se faire avoir, car seuls les plus investis fréquentent ces forums. Michelle, une travailleuse américaine déjà croisée précédemment (lire l’épisode 4, « Les turkers d’Amazon, ces prolos du web »), connaît bien ces employeurs qui profitent du système proposé par Amazon. « Régulièrement, on voit par exemple un questionnaire à un dollar qui explique tranquillement qu’y répondre prendra une heure. Une heure ! Pour un dollar ! Mais qui peut se dire que c’est correct ? » Celly, une autre turker, se désole aussi que certains tirent la plateforme vers le bas. « Ils essaient vraiment de nous forcer à travailler au prix le plus ridicule possible. Je comprends qu’ils essaient de dépenser le moins possible, mais si vous voulez de la qualité, il faut la payer. »
Mais les employeurs qui viennent sur Amazon Mechanical Turk cherchent-ils la qualité ? Et d’ailleurs, que cherchent-ils tout court ? J’ai voulu le savoir en contactant certains d’entre eux, mais ce ne fut pas aussi facile que de trouver des turkers avec qui parler.