«Suicidez-vous ! », « Flic suicidé, à moitié pardonné » : les invectives récemment adressées aux forces de l’ordre dans une manifestation parisienne de gilets jaunes, taguées sur le mur d’une gendarmerie bretonne ou collées sur un camion appuient là où ça fait mal. Les CRS de 1968 n’appréciaient sans doute pas d’être traités de SS, ni leurs prédécesseurs qu’on leur crie « Mort aux vaches ». Mais en 2019, les policiers et gendarmes prennent l’affront particulièrement à cœur : depuis le 1er janvier, trente d’entre eux se sont suicidés. Si l’année continue sur cette lancée, elle risque d’être particulièrement meurtrière dans les rangs des forces de l’ordre. Ces dernières semaines, les syndicats de police ont sonné l’alarme. Des fonctionnaires se sont rassemblés devant les commissariats, tandis que les autorités mettaient en avant leurs efforts de prévention et s’engageaient à les intensifier. Au sein de la police nationale, une inspectrice générale de l’administration incarne cette politique : Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l’accompagnement et du soutien. Ce lundi, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner doit officiellement installer la « cellule alerte prévention suicide » qu’elle dirige désormais. Un officier de police et un médecin-psychiatre, Jean-Louis Terra, doivent la seconder. Les Jours ont rencontré Noémie Angel.
L’un de ses plus gros chantiers consiste à remettre à plat tous les outils de mesure. Si les chiffres bruts sont connus (voir notre graphique ci-dessous), un travail statistique « de longue haleine » a commencé au début de l’année, précise Noémie Angel. Le taux le plus souvent cité – la surmortalité des policiers serait de 36 % par rapport à la population générale – doit être actualisé et affiné. Zones géographiques, services les plus concernés, facteurs de risque : la haute fonctionnaire espère qu’une cartographie plus fine permettra « d’éclairer notre compréhension du suicide ». Et ses spécificités dans la police. Pour ce faire, l’équipe s’appuie notamment sur les « rapports environnementaux » (des questionnaires envoyés dans chaque service après un passage à l’acte) et sur le « baromètre social » annuel de l’institution. À ce stade, il est déjà établi que le suicide frappe au premier chef les gardiens de la paix travaillant en sécurité publique (la police du quotidien et des commissariats).
Si le suicide et sa prévention sont des sujets de moins en moins tabous au sein des forces de l’ordre, la haute-fonctionnaire met en garde contre certaines formes de « décomptes sordides ».