Nous nous sommes posé plusieurs fois la question, aux Jours, depuis le début de cette obsession consacrée à l’effondrement de notre monde : pourquoi n’y a-t-il pas une chanson bien larmoyante pour culpabiliser la planète entière sur la catastrophe climatique dans laquelle nous sommes tous embarqués ? Une chanson qui réunirait toutes les stars du moment, Rihanna et Beyoncé bras dessus bras dessous devant un gros micro pour un couplet, avant qu’Ed Sheeran ne vienne chanter le refrain avec Drake et Kanye West aux chœurs, le tout sur une instru de David Guetta. C’est vrai, ça : où sont passés les tubes qui ont mouillé les yeux des années 1980, quand s’étaient enchaînés Do They Know It’s Christmas ? (1984), pour aider l’Éthiopie empêtrée dans une famine interminable, puis Éthiopie des Chanteurs sans frontières en France, sur le même sujet. Peu après, c’était We Are The World, vendu à plus de 20 millions d’exemplaires pour aider l’Afrique en général, parce qu’on ne va pas réunir Michael Jackson, Bruce Springsteen, Quincy Jones, Cyndi Lauper, Bob Dylan et Tina Turner pour un seul pays non plus.
Les charity singles, comme on appelle ces réunions à but humanitaire, existent encore, mais ne concernent pas les questions environnementales, pourtant plus urgentes que jamais. Le sujet est-il pour autant absent de la musique ? Non, mais cela se passe loin des lumières clinquantes. Il n’y a qu’à s’arrêter deux minutes sur les sorties de ces derniers mois. Titanic Rising, le nouveau disque de pop enveloppante de Weyes Blood, alias la trentenaire américaine Natalie Mering, s’y attaque via une métaphore générationnelle, le « symbole du Titanic qui a sombré après une collision avec un iceberg, alors que c’est la fonte de ce même iceberg qui fait sombrer la civilisation aujourd’hui ». Suivra bientôt Miss_Anthrop0cene, le retour annoncé de l’electro-pop de Grimes, « un album-concept sur une déesse anthropomorphe du changement climatique » où « chaque chanson décrira une incarnation différente de l’extinction humaine ». Ça promet.
Je pourrais en citer encore des tonneaux dans le genre ces dernières années : 4 Degrees de Anohni, l’album Plastic Anniversary du duo électronique Matmos (avec son édition spéciale fabriquée en bouteilles recyclées au profit d’une ONG qui nettoie les océans), le plus grand public Time Is Up de Poppy… Toutes ces chansons ont pour point commun un cynisme désespéré face à la catastrophe que l’on sait désormais inéluctable.