Au téléphone, le bruit du briquet et le grésillement des cigarettes. Yasmina Kettal, infirmière aux urgences de l’hôpital Delafontaine, est « dans le jus H-24 » à cause du « coro », comme elle dit. Les jouristes la connaissent bien, qui l’ont découverte dans « Urgences », la série que « Les Jours » ont consacré à la crise des urgences qui se sont mises en grève à partir de mars 2019 pour réclamer des moyens, mais sans obtenir véritablement gain de cause. Il a fallu un certain coronavirus pour que le président de la République Emmanuel Macron découvre ces « héros en blouse blanche ».
«ÀDelafontaine, il y a dix-huit lits de réanimation, mais on en crée d’autres. La salle de réveil est en train d’être armée, par exemple. On est en plan blanc depuis deux semaines, ça permet de fermer certaines consultations. En psychiatrie, par exemple, on ne prend plus les urgences, mais les patients psy sont toujours là, c’est une problématique supplémentaire. Et puis la vie continue, même si on a moins de monde, on continue à avoir des patients AVC.
Aux urgences, je suis surexposée, ça fait des semaines que je n’ai pas vu ma mère, qui en plus est diabétique et hypertendue. Mais ça, au passage, c’est tout Saint-Denis : nos populations sont fragiles. Ce sont elles les caissières, elles, les femmes de ménage, elles qui se surexposent dans les transports, dans la rue.
Ici, tout le monde est sur les nerfs. On a peur, on baigne dedans H-24. On a peur de contaminer nos proches, tu te rends compte ? On a peur de contaminer nos proches à cause de notre travail… Et on continue de s’autocontaminer les uns les autres. Le dernier en date, c’est Mathias Wargon [le chef des urgences de Delafontaine, ainsi que sa femme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire] mais avant lui, il y en a eu dix autres. Comme je dis pour rigoler, c’est plus un service, c’est un cluster !
Aujourd’hui, on est obligés de faire des choix : il n’y a pas assez de masques pour tous les soignants alors on concentre sur ceux qui sont au contact des patients Covid, mais les précautions qu’on prend vis-à-vis de tous les malades sont juste minimes. Il y a des moments dans l’histoire où il faut en faire trop et là, il faut en faire trop. L’ARS [Agence régionale de santé] va nous filer des masques : 3 150 masques FFP2 par semaine pour Delafontaine et 12 000 masques chirurgicaux. Mais c’est rien du tout, on ne peut pas compter comme ça.