
Lucas Santtana, O paraíso (Nø Førmat, 2023)
L’expérimentation musicale est une chose, mais la normalité en est une autre, tout aussi difficile à atteindre sans perdre sa musique au passage. C’est le défi inconscient que s’est posé le Brésilien Lucas Santtana dans son huitième album tout juste de sortie, qui désarçonnera les habitués tout autant qu’il peut servir de parfaite porte d’entrée pour ceux et celles qui le découvrent.
Car O paraíso, enregistré en France où Lucas Santtana vit aujourd’hui, est un disque de chansons tropicalistes parfaitement lisible, qui s’interroge (parfois avec des gros sabots) sur notre monde tout pourri : la croissance comme seul dieu, notre façon de creuser la Terre pour y trouver de quoi la détruire encore un peu plus rapidement, notre incapacité à regarder ce que nous avons au lieu de fantasmer une autre planète, et bien sûr le Brésil qui peine à tourner la page de l’extrême droite qui l’a fracassé pendant l’ère Bolsonaro. Ce n’est pas la première fois, loin de là, que Lucas Santtana, né il y a 52 ans à Salvador de Bahia, sur la côte nord-est du Brésil, se fait politique. Il l’a même toujours été, depuis son surgissement grand public avec son album Sem nostalgia en 2009, par sa façon d’interroger courageusement l’héritage musical brésilien un rien sanctifié de la période des tropicalistes

Depuis, Lucas Santtana a exploré tous les chemins ouverts par ce disque-là au fil d’albums aventureux sans jamais être difficiles d’accès, grâce auxquels il est devenu le parrain d’une nouvelle génération pop brésilienne. On l’a donc croisé orchestral et afrobeat (O deus que devasta mas também cura en 2012), électronique et dansant (Sobre noites e dias en 2014), carrément cinématographique (Modo avião en 2017), avant le dépouillement acoustique de O céu é velho há muito tempo en 2019, qui revenait à la forme ultracodifiée de la guitare-voix sans abandonner une paisible recherche de structures mélodiques qui ne vont pas tout droit.