Comment bien réussir sa dépression ? Telle est la question provocatrice que pose un petit livre cartonné, genre cahier de vacances, intitulé J’ai choisi la dépression : la méthode infaillible pour ne plus se relever de son canapé, écrit par Dana Eagle, « comédienne, américaine et dépressive ». L’ouvrage a été traduit en français (éd. Robert Laffont, 2016), en allemand et en turc. La méthode détonne dans le cortège des guides estampillés « bien-être », qui peuvent être lus comme des conseils, des encouragements, voire, parfois, des injonctions. Or, demandez à un retardataire chronique ce qu’il se passe dans sa tête tous les matins entre son réveil et son départ : il ne pense qu’à une chose, ne pas être en retard. Donc, il l’est. Conseiller à un lecteur de ne pas déprimer, même en donnant des trucs et astuces, risque d’avoir le même effet.
Le psychologue et psychiatre américain Milton Erickson, père de l’hypnose médicale moderne, a raconté une scène qui l’a inspiré dans sa pratique de consignes paradoxales. Lorsqu’il avait 9 ans, il a observé son père essayer de faire entrer un âne dans une grange, en le tirant par l’avant. L’âne plantait ses sabots dans le sol et refusait d’avancer. Le petit Erickson a demandé à son père s’il pouvait essayer. Il est allé se placer derrière l’animal, pour tirer sur la queue de celui-ci aussi fort qu’il le pouvait. L’âne s’est précipité vers l’avant, dans la grange. Plusieurs versions de l’histoire circulent, mais l’idée demeure. Devenu thérapeute, Milton Erickson s’est servi de cette métaphore avec ses patients. Il raconte ainsi le cas d’un homme qui ne voulait pas s’asseoir durant les séances de psychothérapie. Le patient faisait les cent pas dans le cabinet. Erickson lui a d’abord proposé de marcher plus lentement, puis moins régulièrement, puis vers la droite, vers la gauche… Le patient a fini par s’asseoir. En l’accompagnant dans son mouvement plutôt qu’en se plaçant devant lui, face à lui pour le convaincre ou le forcer, en laissant l’espace nécessaire entre eux, Erickson a pu instaurer avec le patient une « re-lation » à deux, et pas simplement un « lien ». Sachant que c’est « dans la relation que ça se passe », expliquait une psychothérapeute dans l’épisode 7 de Grosse déprime.
Se faire une énorme “to-do list” dont on sait qu’on ne cochera pas la moitié des tâches. Le faire de préférence chaque matin, pour la journée. Ainsi, plus on voit le nombre d’objectifs qui restent s’accumuler au fil des heures, plus on va mal. C’est un “must”. Bien culpabiliser de ne pas avoir tout fait.
Prendre la question à contre-sens, jouer du paradoxe, voire de la confusion, peuvent provoquer des surprises.