À la sortie du périphérique, Divis Tower marque l’entrée du quartier catholique Falls Road. Vingt étages d’appartements tout droit sortis des années 1960, qui trônaient autrefois sur un ensemble de cités au design similaire. Les autres immeubles ont aujourd’hui disparu, mais la tour est restée, sa façade rouge érigée en portique d’entrée de l’ouest de Belfast. En 1969, quand des émeutes éclatent au pied du bâtiment, la police sort les mitraillettes. Un garçon de 9 ans tombe, abattu dans l’appartement de ses parents – il est le premier enfant tué dans une guerre civile qui commence à peine. L’armée finit par prendre possession des derniers étages de Divis et y installe ses snipers, au moment où la capitale nord-irlandaise devient un champ de bataille. En tout, une trentaine de résidents du complexe seront tués et il faudra attendre 2005 pour que le poste d’observation installé sur le toit soit démantelé. En 23 ans de paix, la tour est redevenue paisible ; seuls quelques drapeaux tricolores fatigués flottent aux fenêtres.
J’étais très activiste. Et à l’époque, il n’y avait que deux options quand on était dans l’IRA : la prison ou le cimetière.
Au rez-de-chaussée, Robert McCallaghan, 63 ans, ouvre grand la porte du bureau des résidents. Il exulte : « Vous connaissez l’expression : “Les difficultés des Anglais sont les opportunités des Irlandais” ! » Pour lui, nul doute que le Brexit est une bonne nouvelle – ses yeux pétillent à la seule évocation du mot. « Ça a complètement changé la dynamique, tout s’est accéléré et la réunification de l’Irlande est désormais à portée de main ! »Républicain, socialiste pur jus à la Connollyet ancien prisonnier de guerre, Robert veille sur quelque 300 foyers du quartier, « répartis entre cette pièce et le mur », barrière de fer qui marque la séparation avec les zones protestantes et qu’on devine au bout d’une impasse. « Dinker », son surnom d’écolier, est vite devenu son nom de code dans l’IRA. La mort de son grand-père dans un attentat perpétré par les loyalistes en 1971 attise sa colère d’adolescent et il s’engage dans la jeunesse de l’armée républicaine à 14 ans. Il est à peine majeur lors qu’il écope d’une lourde peine pour avoir déposé une bombe dans le centre-ville. « J’étais très activiste. Et à l’époque, il n’y avait que deux options quand on était dans l’IRA : la prison ou le cimetière. » Grève des habits, grève de l’hygiène, Robert a été de toutes les luttes. Il raconte à qui veut les longues journées en cellule, avec une légèreté un peu forcée.