Pas une fois dans sa plainte, Erol ne prononce le mot de « viol », ni ne décrit complètement ce que lui ont fait les policiers d’Antalya, dans le sud-ouest de la Turquie après son arrestation. Le viol reste indicible en Turquie. En écrivant au procureur de la République, il se contente de décrire le reste, déjà terrifiant, des tortures subies dans un commissariat. Son cas, malheureusement, n’est pas isolé. La torture, qui avait reculé dans le pays à partir des années 2000 avec la perspective d’une adhésion à l’Union européenne, revient en force depuis le coup d’État manqué du 15 juillet dernier et la grande purge qui a suivi.
Erol est enseignant, proche de la confrérie Gülen, mouvement très enraciné en Turquie et que le pouvoir accuse d’avoir fomenté la tentative de putsch de juillet. Le 24 juillet 2016, il a été arrêté, comme des dizaines de milliers de citoyens qui n’ont rien à voir avec le coup d’État. « Il était 5 heures du matin, raconte Aslihan, son épouse. Les policiers sont montés chez nous avec mon père, qui est le concierge de notre immeuble. L’un de mes frères, journaliste, a été arrêté dans la journée, puis mes deux plus jeunes frères quelques jours plus tard. Les policiers cherchaient des preuves de notre proximité avec la confrérie Gülen. Ils ont pris des livres dans la bibliothèque. Mon père s’est fâché, il leur a dit d’aller arrêter les vrais terroristes, plutôt que d’embêter son beau-fils qui est enseignant. Alors ils l’ont arrêté aussi. Tant qu’ils étaient chez nous, ils se sont comporté de façon respectueuse. » Mais dans sa plainte au procureur, Erol raconte la suite. « Dans la voiture, un officier m’a dit : “Toi, quand on arrivera au commissariat, je vais te baiser.” Ils m’ont conduit au département antiterrorisme et m’ont mis dans une cellule. Un policier qui s’appelait Ibrahim m’a obligé à crier des dizaines de fois : “Gülen, je nique ta mère, je te baise.” Je devais hurler de plus en plus fort pour que les officiers entendent depuis leurs bureaux. À la fin, ma voix était cassée, mais je devais continuer de crier de plus en plus fort. »
Ils frappaient derrière mes genoux, sur mon visage, m’ont cogné contre un portemanteau, mon nez s’est cassé. Un docteur est venu au commissariat, j’avais des traces de coups et des côtes cassées, mais il a dit que tout était OK.
Quelques heures plus tard, l’enseignant est conduit dans un premier bureau.