Vous vous rappelez de ce pote de pote à qui vous avez dit un jour, dans le brouhaha d’une soirée, que vous faisiez un peu de musique ? Depuis, il vous a proposé de devenir votre manager en vous expliquant qu’il connaît très bien le milieu – la preuve, il a beaucoup de disques. C’est le sens de l’annonce en forme de tremblement de terre de Spotify ce jeudi soir : la première plateforme musicale d’écoute en ligne dans le monde va désormais permettre à n’importe quel artiste amateur de mettre sa musique à disposition gratuitement et de toucher des revenus en retour. Plus besoin de maison de disques, de distributeur, de rien, pour atteindre le public. Ce sont tous les équilibres actuels de l’écosystème de la musique qui pourraient en être changés.
Jusqu’ici, seules les plateformes YouTube, Soundcloud et Bandcamp permettaient aux artistes, petits ou grands, d’y exposer leurs chansons avec un peu de revenus à la clé. Mais pour atteindre Spotify, comme Deezer ou Apple Music, il fallait passer par un représentant dûment autorisé : l’une des trois majors ou les plus jeunes acteurs du numérique que sont Believe, Idol ou Merlin. Ceux-ci s’occupent d’une myriade de labels indépendants en distribuant leur musique mais surtout en les aidant à construire la carrière de leurs artistes et à rendre leur musique visible. S’y ajoutent encore les TuneCore (propriété de Believe) et CD Baby, de simples tuyaux accessibles à tous (lire l’épisode 8 de la saison 2 de La fête du stream), qui distribuent une chanson sur toutes les plateformes contre quelques euros. C’est à tous ces intermédiaires que Spotify vient dire aujourd’hui quelque chose comme « merci pour tout, mais maintenant on va faire sans vous ».
Ça peut parler à une frange d’artistes en tout début de carrière, qui sont sur YouTube ou Soundcloud et nulle part ailleurs, et qui cherchent une première fenêtre d’exposition. Mais c’est un miroir aux alouettes.
Très logiquement, tout le monde est un peu crispé par cette attaque frontale. Les majors n’ont pas encore réagi et cela se fera au niveau international, mais chez Believe, le premier distributeur numérique indépendant en Europe, le patron Denis Ladegaillerie regrette que Spotify vienne « créer de la pollution » dans le monde de la musique en cherchant à ringardiser les intermédiaires. « Mais c’est un miroir aux alouettes. Oui, ça peut parler à une frange d’artistes en tout début de carrière, qui sont sur YouTube ou Soundcloud et nulle part ailleurs, et qui cherchent une première fenêtre d’exposition. » Pour eux, Spotify deviendrait une occasion de plus de faire circuler leurs chansons et, dans ce sens, Soundcloud pourrait perdre un peu d’intérêt face au géant suédois.