Les gilets jaunes vont-ils avoir la peau de l’École nationale d’administration (ENA) ? Les jours de la fameuse grande école formant chaque année une centaine de hauts fonctionnaires, dont une bonne part deviendront conseillers ministériels, seraient comptés. Elle paierait le prix, symbolique, de la défiance grandissante envers les élites qui traverse la société française et a imprégné le grand débat national ces dernières semaines. Ce lundi soir, dans son allocution annulée au dernier moment alors que les flammes ravageaient la toiture de la cathédrale Notre-Dame, Emmanuel Macron s’apprêtait à annoncer la suppression pure et simple de l’ENA, selon le verbatim de l’intervention, jamais diffusée, qui a été dévoilé par la presse. « Je crois dans l’excellence républicaine et nous avons besoin d’une élite, de décideurs. Simplement cette élite doit être à l’image de la société et être sélectionnée sur des bases exclusivement méritocratiques. C’est pourquoi nous en changerons la formation, la sélection, les carrières en supprimant l’ENA et plusieurs autres structures pour en rebâtir l’organisation profonde », avait prévu de déclarer le chef de l’État. C’est en ces termes qu’il devait donc enterrer sa propre école, celle qui l’a formé, celle qui lui a permis d’accéder à l’Inspection générale des finances, le gratin de la haute administration, et de lancer sa trajectoire vers l’Élysée. Autrement dit, une disruption, comme on dit dans la start-up nation, qui ne coûte rien et peut, opportunément, laisser croire que le peuple en colère a été entendu.
Je n’ai jamais plaidé pour la suppression de l’ENA. Ce qui pêche dans notre système, c’est bien plutôt la carrière des hauts fonctionnaires, trop protégés, alors que le reste du monde vit dans le changement.
L’annonce a produit son effet. Dans la liste des autres mesures dévoilées, on ne retient qu’elle ou presque. Incarnation de la concentration des pouvoirs, l’ENA est une habituée des critiques. Depuis que le peuple ne se reconnaît plus (du tout) dans ses élites, elle est l’objet de moult attaques qui ne datent pas des gilets jaunes. Dès les années 1960, un certain Jean-Pierre Chevènement milite pour une réforme en profondeur de l’école avant de plaider pour sa suppression cinquante ans plus tard. Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, François Bayrou prône sa disparition lors de la campagne présidentielle de 2007, ainsi que l’actuel ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, pendant la primaire de la droite en 2016. L’ENA