Marche ou crève, qu’ils disaient. Chiche, marche ou crève. Je vais crever si je reste là, les fesses vissées à la chaise devant l’ordi, bloquée entre deux sondages à 60-40. Dix jours que je cours les rues avec un filet à papillons pour chiner les projets de vote, les petites stratégies électorales seulement compréhensibles de leur inventeur, les « Macron-mais », les « ni-ni », les « j’hésite encore ». L’électeur moyen s’est transformé en machine à perdre, quoi qu’il fasse il garde l’estomac tordu et dans la bouche, le goût de la défaite. Par contraste les convaincus, les militants, ressemblent encore plus à des créatures de l’espace. Elle a crevé tout le monde cette campagne, non ? Marche ou crève, ça tape sur le système. J’ai pensé à m’enfuir. Ciao Les Jours, si vous me cherchez, j’aurai disparu et bon courage les copains. Déserter un vendredi d’avant le deuxième tour, ç’aurait été fripouille. Une drôle d’idée fixe a surgi : quitter Paris, juste un petit peu. Marcher (presque) tout droit pendant trois heures en Seine-Saint-Denis, traverser Pantin, Bobigny, Drancy, Le Blanc-Mesnil, jusqu’à Aulnay-sous-Bois. Marcher trois heures en banlieue pour oublier la campagne, sans demander à personne pour qui il vote, marcher pour voir comment passe le temps, dans ces villes où l’abstention du premier tour montait jusqu’à 25, 30, 35 %, où Mélenchon arrivait premier devant Macron et Le Pen troisième. La règle du jeu était simple, sur ces 12,5 km qui séparent la porte de Pantin de la cité des 3 000 à Aulnay : enfiler des chaussures de rando et avancer, regarder, raconter le trajet et les traces d’élection croisées au hasard des rues comme une donnée parmi d’autres.
C’est le matin de la dernière journée de campagne officielle. Porte de Pantin, une « famille syrienne » rom fait la manche au feu rouge. Il y a la queue devant le consulat de Tunisie, où un vigile en K-way bleu fouille les sacs. Sur le trottoir d’en face, une classe d’ados rejoint le terrain de sport. L’eau est à sa place dans le canal de l’Ourcq. Des affiches jaunes et noires « Le Pen non » ont été collées sur le panneau de l’affichage associatif. Il faut longer la mairie, puis la piscine, passer sous le pont ferroviaire pour arriver sur la départementale, où soudain, un ovni : la galerie Thaddaeus Ropac, un centre d’art contemporain à la cour immaculée. Une brune en cheveux courts arrive en voiture. « Vous êtes Fanny ? » Non, je suis juste de passage.
Des poids lourds sont garés le long de l’immense mur d’enceinte du cimetière de Pantin.