En préambule, remettons l’Oscar de la métaphore éculée à Gérald Darmanin. Mardi 10 avril, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Action et des Comptes publics a présenté son projet de loi contre la fraude fiscale, ce « coup de poignard au pacte républicain ». Le texte gouvernemental, qui vise à « mieux détecter, appréhender et sanctionner la fraude », doit être débattu au Sénat avant l’été puis à l’Assemblée nationale cet automne. La dernière grande loi sur ce thème, adoptée dans la foulée de l’affaire Cahuzac, date de décembre 2013.
La principale innovation de la future « loi Darmanin », c’est la création d’une « police fiscale » chargée des enquêtes judiciaires contre les plus grands fraudeurs. Forte d’une cinquantaine d’agents, elle serait autorisée à mettre des suspects sur écoute, à faire des filatures, des perquisitions… Attendez, attendez, ça nous dit quelque chose. Mais oui pétard, c’est exactement le boulot de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), créée en 2010 et intégrée à l’OCLCIFF depuis 2013. Son surnom, vous allez rire : « la police fiscale ». Elle travaille sur les cas de fraudes les plus graves, essentiellement des dissimulations d’avoirs à l’étranger.
Pourquoi diable créer un nouveau service d’enquête, au lieu d’augmenter les moyens de la BNRDF ? Le 3 avril, devant la mission parlementaire sur le verrou de Bercy, le ministre des Comptes publics a affirmé que la brigade existante « travaille sur plein de sujets à la fois » : la fraude fiscale complexe, mais aussi le banditisme et la corruption. Gérald Darmanin justifie ainsi la nécessité de créer « un service supplémentaire » et plus spécialisé, sous l’autorité de Bercy. D’ici fin 2019 ou début 2020, les magistrats auraient donc le choix de confier leurs enquêtes soit à la nouvelle « police fiscale », soit à la BNRDF, soit au SNDJ (le Service national de douane judiciaire, plutôt spécialisé dans les affaires douanières et la fraude à la TVA). Sans oublier – comme l’a fait le ministre – la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE), chargée chaque année de 250 enquêtes judiciaires sur des affaires de fraude fiscale relativement simples (sans ramifications à l’étranger). Vous trouvez que ça fait beaucoup ? Normal.
Interrogé sur la future police fiscale par les députés, le 27 mars, le commissaire Thomas de Ricolfis, qui dirige l’OCLCIFF, a tenté de faire bonne figure.