Il est environ 3 h 30 du matin, le 28 septembre 2018, lorsque Henri Lenfant meurt d’une balle dans la tête. Le tireur est un gendarme ; Henri Lenfant, un gitan de 22 ans, ferrailleur de métier. Si on est devenus habitués à ce que les violences policières touchent jeunes noirs et arabes, les gens du voyage ne sont pas en reste. Harcèlement policier, refus de scolariser les enfants… Les discriminations qui les touchent sont nombreuses, pointées notamment par le Défenseur des droits. Le gendarme qui a abattu Henri Lenfant refuse de s’expliquer sur son geste, survenu lors d’une interpellation.
À l’abri des regards extérieurs, les caravanes des membres de la communauté s’étalent aux quatre coins d’une esplanade, au fin fond de la zone industrielle de Cambrai, dans le Nord, où ils se sont installés il y a plusieurs mois. C’est un immense parking goudronné sans un coin d’ombre. La majorité des résidents ont migré dans le Sud pour l’été. La chaleur de cette fin juillet est étouffante, le bitume n’est pas loin de commencer à fondre. Un camion benne chargé de ferraille arrive, un jeune homme torse nu sourit de toutes les dents qu’il n’a plus, un chien titube vers nous en aboyant. Georges Lenfant, le père d’Henri, s’avance, chapeau panama vissé sur la tête et t-shirt Transformer. Il tend la main, ses yeux sont clairs et ses bras recouverts de nombreux tatouages usés par une vie à l’air libre. D’un signe de la tête, le quinquagénaire indique une petite caravane : « On va s’asseoir là. » Un peu plus loin derrière, une équipe s’affaire à vider le camion benne, amassant de la ferraille à la ferraille.
Jour et nuit j’y pense. Je me lève le matin j’y pense, je vais me coucher j’y pense.
Aude, 25 ans, est entourée de ses deux filles. La jeune veuve nous attend dans une de ses deux caravanes, une de celles où la table repliée à hauteur des banquettes se transforme en lit. Elle lui sert de buanderie et de cuisine et est accolée à une autre caravane, plus grande, qui fait office de chambre et de lieu de vie. Aude prépare le café. Appuyée contre le chambranle, Anita, la mère d’Henri, nous regarde, muette, les bras croisés. Georges s’assoit sur la banquette, les mains appuyées sur ses genoux. L’une de ses petites filles recouvre ses tatouages avec du maquillage pour enfant. L’homme s’en amuse. On le sent usé, il souffle et, avec son accent gitan, en mangeant une partie des syllabes, nous avoue :