La pluie tombait depuis un moment lorsque le ciel s’est éclairci, sans que l’eau cesse de tomber. Il est devenu d’un blanc jaunâtre, signe que la grêle ne passait pas très loin. À table, on a tous pâli. Le domaine Voillot, que je suis pendant un an en Bourgogne, a vécu quatre dernières années très difficiles. Trois millésimes dévastés par la grêle (2012, 2013, 2014), un autre touché par le gel (2016). Cela a tendu la trésorerie, réduit les marges de manœuvre. Il faut en 2017 une récolte de bonne qualité mais aussi abondante. Heureusement la grêle est passée au large cette fois-ci.
Quand il pleut au domaine, impossible de travailler aux vignes. Les engins ne peuvent rouler sur la terre trop meuble, et à pied cela reste compliqué et désagréable. Mais il y a toujours de quoi s’occuper chez un vigneron. Au chai, Jean-Pierre Charlot a décidé de transférer le vin de ses fûts vers les cuves avant de les faire revenir en fûts. Cette opération, le soutirage, permet d’aérer le vin, ou cette fois d’enlever les lies les plus grossières – il a remarqué ces dernières années que le vin est un peu plus trouble. La manipulation est sensible, l’hygiène du matériel doit être irréprochable, et il subsiste toujours un risque d’oxydation du vin. Jeannot Dupré, bras droit de Jean-Pierre Charlot, est à genoux devant un tonneau dont il a enlevé le bouchon du trou de broquereau (la bonde qui se trouve en façade, à l’avant du fût), pour ficher à la place un robinet de laiton (on appelle ça une « chèvre », ou une « fontaine »). Le vin coule, je le goûte, le fruit est délicieux. Il tombe dans une large bassine où une pompe l’aspire pour l’expédier vers les cuves. Patrice Bruley, autre salarié du domaine, soulève un peu le fût lorsque le débit ralentit. Toujours à genoux sur les gravillons, Jeannot guette les premiers signes de turbidité. Alors on repose le tonneau, on enlève le robinet, on referme, et le fût remonte à l’étage supérieur à l’aide d’un treuil qui permet de le faire passer dans une trappe.
Dans la cour, Étienne, le neveu de Jean-Pierre, le renverse au-dessus d’un seau très plat qui recueille les lies. Elles sont d’un violet vif : la couleur lie de vin. On vide ensuite le seau dans une cuve, Jean-Pierre gardera quelques bouteilles de lie pour la cuisine, pour préparer des œufs en meurette, des coqs ou des jambons à la lie de vin – ce n’est pas particulièrement léger mais franchement réjouissant.