Ce millésime marquera durablement la mémoire de la famille Voillot. Dans ce domaine viticole de Volnay (Bourgogne), quatre années de gel et de grêle avaient mis en péril l’exploitation, mais la vendange vient de s’achever sur des volumes jamais atteints depuis 2009. L’abondance est exceptionnelle. Hélas, Jean-Pierre Charlot, le vigneron, n’a pas pu vivre ce moment. Il a été hospitalisé en urgence en fin de semaine dernière et se trouvait en soins intensifs quand les premières cuves ont commencé de fermenter. Cela a obligé son neveu, Étienne Chaix, à prendre la barre plus tôt que prévu pour mener des vendanges très particulières.
Jusqu’à l’année dernière, Étienne travaillait dans les céréales tout en faisant DJ, le week-end, dans les boîtes de nuit de la région. Au mariage de son frère aîné Antoine, à la Toussaint 2015, il a interrogé son oncle : le sentait-il capable, lui, Étienne, de reprendre l’exploitation, ou irait-on « au casse-pipe » ? Jean-Pierre voyait la retraite s’approcher depuis plusieurs années et, faute de successeurs, il s’était résolu à ce que le domaine, qui était dans la famille depuis cinq générations, soit vendu à des investisseurs. « Il parlait de commencer à faire des stocks de vin pour la famille, pour quand il n’y aurait plus de vignes. Je trouvais triste que ça ne continue pas », dit aujourd’hui Étienne. Son oncle lui a d’abord dit qu’on verrait après la noce si la proposition tenait toujours. Qu’il faudrait ensuite convaincre toute la famille. Mais sur le principe, a ajouté Jean-Pierre, ce n’est pas sorcier de faire vigneron : il faut deux jambes, deux bras et un cerveau.
Quelques mois plus tard, Étienne débutait. Je me souviens de son premier jour, avant que cette série ne commence. Jean-Pierre lui a présenté officiellement l’équipe, qu’il connaissait en réalité pour avoir vendangé régulièrement au domaine. Les ouvriers agricoles accueillaient un nouveau collègue qui serait un jour leur patron, c’était particulier. Oncle et neveu sont assez dissemblables. Jean-Pierre est un colosse chaleureux, toujours curieux de découvrir les gens. Étienne est râblé, poli, mais timide. Il garde en général pour lui ce qu’il pense des gens pour lui. On devine quelqu’un de tenace, obstiné même, mais on ne sait jamais trop à quoi s’en tenir, il ne se livre pas. Il a fait une bonne année d’alternance, bossant à mi-temps au domaine et apprenant le métier au lycée viticole de Beaune.