Il a fallu lever les bras plus haut, cette année, pour ranger les fûts au domaine Voillot. Pour la première fois depuis 2009, il y aura trois étages de tonneaux emplis de vin dans les caves. Un vrai regain. Le raisin a évité cette fois tous les périls, la grêle, le gel, et Étienne Chaix, qui prend progressivement la relève de son oncle, vient de connaître pour ses deux premières années d’apprenti vigneron deux extrêmes. Un millésime 2016 aux rendements extrêmement bas, à cause du gel, puis un 2017 exceptionnellement abondant.
Les vinifications terminées, il a fallu deux semaines pour vider toutes les cuves. Tirer d’abord les jus qui se sont écoulés naturellement des raisins, puis sortir les moûts afin de les presser. Le décuvage est l’une des tâches les plus éprouvantes physiquement dans un chai. Comme il n’y a pas de trappe le plus souvent en bas des cuves du domaine Voillot, il faut grimper à l’intérieur et y aller au seau (dans les petites cuves) ou à la fourche (dans les grandes). Après avoir observé Étienne et Patrice Bruley, je m’y suis collé, dans une grande cuve en ciment, pour essayer avant de raconter. Deux à trois tonnes de raisins fourchées en une heure, la sueur se mêlant progressivement au moût. Le froid s’était installé ce matin-là sur la Bourgogne. Le Mont-Blanc se détachait en ombre chinoise tout à l’Est, signe qu’il allait bientôt pleuvoir. Les vignes ont perdu avec leurs fruits leur vert vif, elles passent par toutes les nuances du jaune, jusqu’au rouge. Je frissonnais à l’aube en me déshabillant pour enfiler un short en jean et grimper dans le caveau mortuaire recyclé en cuve. Torse et pieds nus, premier coup de fourche, le travail qui vous réchauffe vite. Au début, c’est assez sensuel de s’enfoncer jusqu’à mi-cuisse dans du moût de raisin, de piétiner cette matière grumeleuse dans un clapotis, avec les odeurs prometteuses du vin qu’un extracteur tente d’évacuer. Il faut trouver le geste juste pour que les bras se transforment en levier au lieu de ne travailler qu’aux muscles, qui chauffent vite. Plus on avance et plus le niveau baisse, il faut lever la fourche de plus en plus haut. L’impression de creuser sa tombe.
Une fois le vin pressé, il faut (avant de le boire) passer à l’élevage (l’affinage du vin en fûts, un an à seize mois chez Voillot). On commence par l’« enfûtage », mais cette année, on manquait sacrément de fûts, ceux qui n’ont pas été utilisés pendant des années de disette ayant dû être détruits.