Le matin au domaine Voillot, celui qui arrive le premier ouvre en grand les portes du chai, prend son souffle, son élan, et traverse sans respirer pour aller ouvrir les fenêtres qui donnent sur la rue. Il met l’extracteur de gaz carbonique en route, puis monte prendre son petit-déjeuner. Il faut aérer avant de pouvoir travailler. Les cuves ont commencé à fermenter, c’est un moment un peu périlleux pour les vignerons. Le moût de raisin fermente, cela bout, on sent la chaleur lorsqu’on pose une main sur l’inox des cuves. Les levures sont en plein travail, elles transforment le sucre en alcool (c’est ce qu’on appelle la fermentation alcoolique), et cela dégage beaucoup de gaz carbonique, ce qui provoque régulièrement des accidents.
C’est un gaz inodore, tu sens que tu respires mal, mais tu ne te sens pas partir. Quand tu te penches au-dessus d’une cuve, tu peux perdre conscience, basculer et te noyer.
« C’est un gaz inodore, tu sens que tu respires mal, mais tu ne te sens pas partir, prévient Jean-Pierre Charlot, le vigneron. Quand tu te penches au-dessus d’une cuve, tu peux perdre conscience, basculer et te noyer. En moyenne, on a trente secondes pour sortir quelqu’un quand il tombe là-dedans. » À Saint-Romain, village voisin aux rouges délicieux, le fils d’un vigneron a ainsi chuté dans une cuve voilà quelques années. Son père a essayé de le sortir, et tous deux ont péri noyés.
Au domaine Voillot, Jean-Pierre Charlot lui-même a failli y passer, pendant les « vinifs » 1995. Il avait perdu l’équilibre, a commencé à faire des signes en s’accrochant au bord de la cuve. Un salarié du domaine, Abilio, a cru qu’il plaisantait et lui a fait bonjour également de la main... Heureusement, une vendangeuse, infirmière réanimatrice, a compris qu’il se passait quelque chose de grave. Ils ont eu le plus grand mal à ressortir le vigneron avant qu’il ne se noie (Jean-Pierre pèse « environ 0,128 tonne » – plus le poids des peaux et pépins ce jour-là). Depuis, il est extrêmement vigilant et refuse que ses salariés, quand ils grimpent à l’échelle au-dessus d’une cuve, penchent leur corps au-delà du torse.
Portés par le gaz, les peaux et les pépins des baies qui éclatent progressivement forment un « chapeau de marc », flottant en haut de la cuve. On le replonge régulièrement dans le jus, c’est le pigeage, qui évite que ce chapeau végétal ne se dessèche, apportant de mauvais goûts au vin. L’opération permet aussi de mieux extraire le fruit ainsi que les tanins et la couleur contenus dans les peaux et pépins (la production de chaleur pendant la fermentation renforce cette extraction).
Une fois tout aéré le matin, la journée peut commencer.