Cela faisait longtemps que j’entendais parler de Roy, l’importateur américain du domaine Voillot. J’imaginais le garçon très grand, costaud, une sorte de Jim Harrison vendeur de vin. Roy Cloud est un homme de 57 ans, en fait plutôt fin physiquement, avec un côté Woody Allen, un charme qui s’exerce dans la réserve et l’autodérision. Roy Cloud est un personnage important pour le domaine, qui exporte 75 % à 90 % de sa production à l’étranger, dont 40 % aux États-Unis. Il travaille depuis près de vingt ans avec Voillot, première maison qu’il a distribuée aux États-unis, lorsqu’il commençait le métier. Sans parler un mot de français. D’emblée, ils sont devenus amis avec Jean-Pierre Charlot, le gérant. L’importateur doit passer bientôt commande pour les prometteurs mais trop rares 2015, alors ce matin de début novembre, il est de passage chez Voillot pour les goûter.
La veille, on a dîné ensemble, avec Jean-Pierre et son épouse Isabelle, ainsi qu’Étienne Chaix, le neveu qui se forme pour reprendre le domaine familial, et que son oncle présente systématiquement aux importateurs et distributeurs, souvent inquiets lorsqu’ils voient un bon vigneron sur le point de prendre sa retraite. On a parlé de vin et de l’élection américaine qui approchait. Roy ne pensait pas alors que le « cauchemar » se réaliserait. Son épouse est une avocate démocrate très investie. Lui ne croyait guère en Hillary Clinton, mais n’imaginait pas son pays avec ce « pantin », ce « petit garçon narcissique » à sa tête (il m’écrira un long mail deux semaines après l’élection pour me dire sa tristesse).
Étienne dresse une table dans le chai, pose des verres, une feuille avec les noms de tous les vins que l’on va goûter. On attaque par les meursaults. Roy reste silencieux. Il ne faut jamais trop parler pendant une dégustation, pour ne pas influencer les autres, ne pas les déranger. Il reste concentré, lève parfois un œil interrogateur. « C’est pas trop mal pour un jeune vigneron », lâche-t-il d’un ton neutre à l’accent américain prononcé, en goûtant un meursault chevalières 2015 tendu, plein de finesse. Il épie du coin de l’œil la réaction du vigneron. « Ce qui m’emmerde, répond Jean-Pierre Charlot, en regardant l’importateur sans sortir son nez de son verre, c’est de le vendre à un importateur américain. » Leurs relations sont toujours sur ce mode moqueur.
Ils se sont connus fin 1997. Roy avait 39 ans, il commençait dans le métier, à tâtons.