Ce matin-là, je m’étais levé tôt. Le soleil se levait à peine quand je suis arrivé au domaine Voillot. Les étourneaux piaillaient, depuis les hauteurs de Volnay brillaient les nappes de brume recouvrant les étangs de la plaine. Tout là-bas, la silhouette très nette du mont Blanc se découpait, signe que la pluie approchait. Pour l’instant, elle nous épargnait. Une bonne matinée de travail sous le soleil, avant une après-midi consacrée à la mise en bouteille.
La sève est de retour ! Cela m’a sauté au visage dans la vigne. Au sens propre. La plante s’est désormais pleinement réveillée après son repos hivernal. Pleine de vivacité, d’ardeur, elle pousse. La taille est terminée (lire l’épisode 7, « Retour à la vigne »), il faut à présent attacher sur le fil de fer courant d’un bout à l’autre du rang la baguette sur laquelle poussera le raisin. On l’attrape, la plie pour la vriller à l’horizontale autour du fil. Au début, j’ai peur de la casser. Parfois, avant que je l’attache avec un petit fil de fer entouré de raphia, la baguette se libère d’un coup, je reçois alors au visage quelques gouttes de sève. Car juste avant de l’attacher, on a ajusté la longueur du rameau avec un sécateur. On appelle cela « plumer » la vigne : on met la baguette à la bonne taille et on la débarrasse des petites pousses inutiles. Des gouttes de sève perlent alors au bout des tiges. On dit que « la vigne pleure ». Il faut faire cela au dernier moment, à la sortie de l’hiver, car la coupure rend la vigne plus sensible au gel (qui pourra cependant se pointer plus tard – l’année dernière, il avait frappé dans la nuit du 25 au 26 avril, ce qui avait ruiné les deux tiers de la récolte de Jean-Pierre Charlot).
C’est la première fois que je vois des feuilles sortir aussi tôt dans l’année.
Le soleil tape dès le matin. Je sens bientôt la moiteur sous mon tee-shirt. Jeannot, salarié du domaine, a pris un coup de soleil. Il a le nez tout rouge. « C’est les canons de la veille », se moque Patrice, un de ses collègues. « En tout cas, c’est pas ceux qu’tu m’as payés, c’qu’y a d’sûr », réplique Jeannot du tac au tac. La réplique est rodée. Entre deux rocamboles, ils ont le geste précis. Attrapent la baguette, l’enroulent autour du fil de fer, l’attachent avec un brin de raphia, vont plus vite que moi.
Le domaine est plutôt en avance dans ses travaux aux vignes. Cela tombe bien car avec ce beau temps, la plante galope. Les bourres, les futurs bourgeons, percent déjà, et jeudi les premières petites feuilles sont sorties, ce qui inquiète Jean-Pierre, qui redoute le gel.