Caméras intelligentes utilisées par la police, portiques de sécurité déployés dans les gares, données et algorithmes mis au service de la sécurité… Derrière la « Safe City », le concept fourre-tout inventé par Thales qui rassemble des dizaines d’usages, se dessinent des menaces concrètes sur nos libertés publiques qui changent notre quotidien. Les Jours ont rencontré Myrtille Picaud, chercheuse associée au Centre d’études européennes et de politique comparée (CEE) et spécialiste du marché de la « Safe City », et Florent Castagnino, enseignant-chercheur à IMT Atlantique, qui a consacré sa thèse aux dispositifs de surveillance au sein de la SNCF. L’idée d’une « Safe City » est dérivée de la « Smart City », ce concept de ville intelligente grâce au numérique. Il s’agit, explique Florent Castagnino, d’« un modèle très centralisateur, propriétaire, qui capte des données en temps réel, avec l’objectif d’optimiser de nombreux services, de la voirie à la gestion des déchets ». Au début des années 2000, rappelle-t-il, la « Smart City » voit « IBM et Cisco commercialiser des offres qui s’inspirent de l’idée d’une ville autorégulée » mais peu à peu, les entreprises abandonnent l’idée de ces projets « qui portaient le mythe d’une solution unique, un bouton pour tout gérer ». Toutefois, « les dispositifs qui sont vendus sous couvert de ce que les industriels appellent “Safe City” sont une résurgence de la “Smart City” », indique Myrtille Picaud. Entretien.
Comment expliquer le succès de la « Safe City », malgré les limites de la « Smart City » ?
Florent Castagnino : Les offres de « Smart City », trop uniformisées, se sont retrouvées en décalage vis-à-vis des spécificités urbaines de chaque ville, comme l’a montré notre collègue Antoine Courmont. En calibrant leur offre sur la sécurité, ces entreprises [de « Safe City », ndlr] répondent plus aisément à une thématique que les exécutifs locaux ont mis à l’agenda depuis les années 1990. On peut faire l’hypothèse qu’il y a une « dépendance au sentier », théorie selon laquelle les décisions passées influent sur les décisions futures : comme on a considérablement déployé la vidéosurveillance par le passé, on va investir dans la sécurité dans le futur. Les dispositifs de « Safe City » sont concrets, chiffrables, ce qui peut être considéré comme un avantage dans la compétition électorale. Les maires peuvent communiquer sur le nombre d’affaires résolues, vanter la multitude de capteurs…
Ce n’est pas anodin de gérer les entrées d’une école comme on gère celles d’un site militaire.
Myrtille Picaud : Le succès de ces dispositifs découle aussi de notre façon de voir la ville.