Depuis cent trente ans, la tour Eiffel sert de phare à la Ville Lumière

Corentin : Bah Thomas, pourquoi t’as ramené cet énorme gâteau dans les studios ? Et tu trouves pas qu’il y a un peu trop de bougies dessus ? Je suis pas sûr que le responsable sécurité valide trop cette démarche…
Thomas : Oh là là, bonjour le rabat-joie…
Corentin : Oui, bon, passons. De qui fête-t-on l’anniversaire ? Une tortue géante, je pense, parce qu’aucun être humain ne peut avoir autant d’années qu’il y a de bougies devant moi, là…
Thomas : Alors il ne s’agit pas d’une personne, tu as bien raison. Mais pas d’un animal non plus. Non, ce gâteau, c’est pour fêter les 130 ans de la Tour Eiffel.
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Le monument le plus reconnaissable de Paris célébrait les 130 ans de sa première ouverture au public le 15 mai 2019. Ca vaut bien une célébration en grande pompe, surtout que bon, c’était pas gagné qu’elle dure aussi longtemps.
Corentin : Ah ben oui, c’est sûr, elle aurait dû être démontée après l’exposition universelle de 1889. Pourquoi ça ne s’est pas fait ?
Thomas : Alors avant d’en arriver là, on va peut-être commencer par dire comment tout ça a commencé, peut-être, non ? Je comprends ton envie de brûler les étapes, mais il faut un début. Car chi va piano va sano et chi va sano va lontano, et tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise, car comme disait ma mère, la vie, c’est comme une boîte de ch…
Corentin : OUI BON, J’AI COMPRIS MON ERREUR, OH ! Bon, alors quand est-ce que ça commence, la Tour Eiffel ?
Thomas : Eh bien tu l’as dit toi-même : avec l’exposition universelle de 1889. Enfin, ça, c’est la fin du début de la Tour Eiffel, son baptême officiel. L’origine de ce monument remonte évidemment à plus loin.
Corentin : Oui parce que j’imagine qu’elle n’a pas été construite du jour au lendemain d’un claquement de doigts.
Thomas : Non, effectivement. Le projet émerge concrètement en 1884, quand la rumeur dit que l’organisation de la prochaine exposition universelle sera attribuée à Paris. Dès cette année donc, l’entreprise Eiffel annonce son intention d’élever une tour en fer de 300 mètres pour cette occasion.
Corentin : Eiffel est déjà connu à l’époque ?
Thomas : Oui, quand même ! Bon, déjà, il est connu pour avoir construit la structure de la Statue de la Liberté…
Corentin : ...que tu avais évoqué dans une chronique sur Lucky Luke, à réécouter dans le brunch…
Thomas : A réécouter dans le brunch… Donc la Statue de la Liberté, oui, mais aussi plein de prodiges d’ingénierie partout en Europe : des ponts, des gares, des coupoles… L’entreprise Eiffel est déjà bien connue.
Corentin : Si sa réputation n’est plus à faire, pourquoi ériger cette tour de 300 mètres ?
Thomas : Eh bien déjà parce que toujours plus de pub, ça ne peut pas nuire, té ! Et puis aussi parce que les expositions universelles sont l’occasion pour les pays hôtes de faire étalage de leur puissance et de leurs talents. Cette tour doit servir de clou du spectacle, puisqu’elle sera le plus haut monument du monde à cette époque. Elle le restera jusqu’en 1930, année de l’inauguration du Chrysler Building.
Pourtant, cette construction ne se fait pas sans controverses : de nombreuses voix s’élèvent contre, considérant que le monument gâcherait le paysage de Paris et ferait insulte à des édifices plus anciens et respectables comme Notre-Dame, la Sainte-Chapelle ou encore le Louvre. Mais Gustave Eiffel défend fermement son projet, comme on peut l’entendre dans cet extrait de la série documentaire Paris : une histoire capitale.
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La tour aura sa beauté propre. Ca n’est pas parce que je suis ingénieur que la beauté ne ma préoccupe pas dans mes constructions. Soutiendra-t-on que c’est la valeur artistique des pyramides qui a si fortement frappé l’imagination des hommes ? Qu’est-ce autre chose, après tout, que des monticules artificiels ? Et pourtant, quel est le visiteur qui reste froid devant les pyramides ? La tour sera le plus haut édifice qu’aient jamais élevé les hommes. Ne sera-t-elle donc pas grandiose, aussi, à sa façon ?
Après différentes propositions des ingénieurs Emile Nouguier et Maurice Koechlin, qui travaillent avec Eiffel, puis l’organisation d’un concours d’État, la construction des fondations de la tour débute en janvier 1887. Puis ça va aller assez vite : dès juillet de la même année, on commence les travaux du premier étage. En septembre 1888, alors que Jack l’Eventreur terrorise Londres, on attaque le 2e étage. Et le 31 mars 1889, la construction est officiellement terminée. Pour l’occasion, un drapeau tricolore est hissé au sommet.
Corentin : C’est une grosse aventure industrielle, quand même, cette construction ! J’ai quelques chiffres sous la main : en 1889, elle mesurait 312 mètres de haut, soit le plus haut monument au monde à cette époque, comme tu l’as dit. Elle pèse 10 100 tonnes, compte 2,5 millions de rivets… Et tout ça avec seulement 250 ouvriers sur place pendant les 2 ans de construction. Sacré prouesse quand même ! Mais du coup, j’ai deux questions : pourquoi avoir choisi le fer, et surtout, je l’ai pas oublié celle-là : pourquoi est-ce qu’elle est toujours debout aujourd’hui alors que la plupart des pavillons et palais construits à l’occasion de cette exposition universelle ont été détruit par la suite ?
Thomas : Pour répondre à ta première question, c’est simple : Une tour en pierre se serait effondrée sous son propre poids. Une tour en bois aurait été trop fragile. La fonte et l’acier ont été envisagés, mais leur plasticité aurait pu entraîner des risques, notamment en altitude. Car la Tour Eiffel bouge sous l’effet du vent. Le choix se porte donc sur le fer, qui, traité selon la méthode du puddlage, a les propriétés de légèreté, de solidité et de souplesse recherchée par l’ingénieur.
Et pour savoir pourquoi est-ce qu’elle n’a pas été détruite, eh bien c’est tout simplement parce qu’Eiffel a fait un lobbying intensif pour la maintenir. Il a par exemple invoqué que la tour est un parfait point d’observation météorologique, ou encore qu’elle peut servir relais radio pour la TSF naissante. Mais ce que les autorités retiennent pour la préserver, c’est son phare, qui permet d’aiguiller l’aviation naissante.
Corentin : Et ils ont eu bien raison ! La Tour Eiffel, aujourd’hui, c’est près de 7 millions de visiteurs par an, ce qui en fait le monument payant le plus visité au monde. Pas mal quand même pour un truc qui aurait dû initialement finir à la décharge ! Pour finir, est-ce que tu peux nous dire ce qu’il est advenu d’Eiffel après la construction de la tour ? J’imagine qu’il a continué à connaître le succès après cet exploit d’ingénierie et d’architecture.
Thomas : Alors oui, mais c’est quand même compliqué. Il s’implique dans la construction du Canal de Panama, mais est éclaboussé dans le scandale de Panama, une histoire de corruption à grande échelle, alors même qu’il n’est pas directement impliqué dans ce bazar. Mais des têtes doivent tomber, et il en fait les frais. Du début du XXe siècle jusqu’à sa mort en 1923, il se concentrera moins sur l’ingénierie et davantage sur la recherche en général, soutenant le développement des transmissions par ondes radio et de l’aéronautique. Et surtout, il défendra corps et âme son monument.
Si vous voulez faire un tour des oeuvres de Eiffel, outre le Tour du même nom, vous pouvez évidemment vous rendre à New York pour observer la structure de la Statue de la Liberté, la gare de Budapest-Nyugati en Hongrie, le pont Maria Pia au Portugal ou encore le pont Trang Tien au Vietnam.
Corentin : De quoi se faire un bon petit tour du monde à la recherche des vestiges d’Eiffel. Merci Thomas pour la chronique, bon anniversaire à la Tour Eiffel, mais maintenant, il va falloir manger ce gâteau. Allez, pas de gâchis.