Dans la nuit américaine du lundi 2 mai, le site d’information Politico a provoqué une déflagration médiatique considérable en publiant un projet d’arrêt de la Cour suprême signé du juge conservateur Samuel Alito. Ce document rejette la jurisprudence Roe/Casey établissant depuis 1973 un droit constitutionnel des femmes à l’avortement, qui est ainsi supprimé. Cet arrêt n’est encore qu’un projet, sans valeur définitive, mais Politico a établi qu’il a été rédigé après un premier vote interne des juges de la Cour suprême. Et comme tous les observateurs s’y attendent depuis l’audition des parties dans le cas « Dobbs v. Jackson Women’s Health » en décembre dernier, les cinq juges les plus conservateurs, dont les trois installés par Donald Trump lorsqu’il était président
La stupeur provoquée relève d’une double transgression politique et institutionnelle. C’est d’abord une première dans toute l’histoire des États-Unis qu’un projet d’arrêt de la Cour suprême fuite ainsi en intégralité dans la presse avant d’être officiellement rendu. Ironiquement, le jugement « Roe v. Wade » originel est le seul en 1973 à avoir connu des fuites majeures. Elles concernaient alors un simple document interne préparatoire aux délibérations des juges, puis le résultat de la décision rendant constitutionnel le droit à l’avortement. Le jugement avait été communiqué par un clerc de la Cour suprême, Larry Hammond, à un ami journaliste de Time, David Beckwith, dont l’article précéda l’annonce de la Cour de quelques heures. Mais l’arrêt juridique lui-même justifiant la décision était alors resté secret. Ici, les Américains puis le monde ont pris connaissance d’une opinion provisoire avant qu’une décision ne soit rendue par la Cour suprême.
Or, depuis qu’elle a pris sa forme contemporaine à la fin du XIXe siècle, la Cour suprême s’est forgée dans un respect intransigeant du secret de ses délibérations. Il garantit pour les neuf juges de pouvoir travailler en droit loin de la fureur des passions et pressions politiques. Ce secret complète en ce sens le mandat à vie des juges, une fois qu’ils ont été « confirmés » par le Sénat sur proposition du président. C’est pourquoi ce secret s’étend aussi à tous leurs collaborateurs. Les