D’Alger
La colère et la joie. Voilà toute la situation algérienne actuelle résumée en deux sentiments, exprimés au même endroit à une semaine d’intervalle : la prison d’El Harrach, située à Belfort, un quartier populaire d’Alger. C’est là que, sous le même toit, dorment de jeunes Algériens et l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, incarcérés pour les premiers depuis vendredi et pour le second depuis le 12 juin. Les uns pour avoir brandi un drapeau berbère, l’autre pour l’ensemble de son œuvre au sein du système.
Selon le décompte du quotidien El Watan, ils seraient environ quinze jeunes à avoir été interpellés lors du 18e vendredi de mobilisation et seraient poursuivis pour « atteinte à l’intégrité du territoire ». Leur crime ? Avoir défilé en brandissant le drapeau amazigh, marqué de trois bandes horizontales bleue, verte et jaune. Ils encourent jusqu’à dix ans de prison. Ce mardi, les arrestations pour cause de drapeau berbère ont repris, cette fois en marge de la manifestation étudiante, la 19e depuis le début de la contestation.
Des instructions strictes ont été données aux forces de l’ordre pour une application rigoureuse des lois.
C’est le chef de l’état-major Ahmed Gaïd Salah qui a prononcé, deux jours avant la manifestation, cette interdiction inédite, alors que tous les drapeaux étaient autorisés dans les marches qui se déroulent depuis maintenant cinq mois en Algérie. Le 20 juin, il a dénoncé « la tentative d’infiltrer les marches et de porter d’autres emblèmes que notre emblème national par une infime minorité ». Poursuivant : « Des instructions strictes ont été données aux forces de l’ordre pour une application rigoureuse des lois. »
Suite à l’incarcération de ces jeunes à la prison d’El Harrach, plusieurs centaines de personnes sont sorties dans les rues de la capitale algérienne pour réclamer leur libération, dénonçant l’injustice de ces emprisonnements : aucun texte de loi n’interdit le drapeau berbère en Algérie. Parmi les manifestants en colère, Amel Zen, artiste et chanteuse algérienne, affligée : « Je n’arrive pas à croire qu’une chose pareille puisse arriver en 2019. Qu’à cause d’un emblème identitaire et culturel, ces jeunes qui sont sortis pour changer le pays se retrouvent en prison avec ceux qui ont “mangé” le pays. »
Par « ceux qui ont mangé le pays », Amel Zen fait référence à plusieurs cadres du clan Bouteflika, notamment son frère, Saïd Bouteflika – à qui on prêtait la véritable direction du pays – et surtout l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, en détention provisoire depuis le 12 juin à la prison d’El Harrach.