En ce printemps 2019, sous les ors de la salle des conférences du Sénat où brille le trône de Napoléon, l’ancien ministre et actuel sénateur Les Républicains de la Meuse Gérard Longuet savoure sa victoire, tout en sirotant une petite Suze. « Quand on a la chance de rencontrer une occasion formidable, il faut être exigeant, aller jusqu’au bout. Et c’est ce que j’ai fait sur Cigéo (le projet de Centre de stockage industriel géologique de Bure, ndlr). Certes, cela prend du temps. Si on l’avait fait en trois ans, les gens se seraient dit : “C’est n’importe quoi.” Mais là, on sait que cette terre peut accueillir les déchets et la percée est réalisée… » Il a déjà remporté une bataille décisive : le projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires les plus dangereux est accepté par la plupart des Meusiens et des Haut-Marnais (lire l’épisode 4, « “Ici, c’est une terre morte, donc un peu de merde dessus…” »). Mais le Dick Cheney de la Lorraine – ils partagent la même marque de fabrique : proposer des idées radicales avec le détachement et le ton qui leur sied – ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « Quand vous percez la ligne ennemie, il faut envahir et tout rafler. Et au-delà de l’argent qu’on reçoit chaque année, c’est faire en sorte qu’une partie de la filière électronucléaire choisisse la Haute-Marne et la Meuse. »
L’histoire remonte en fait au milieu des années 1980, dans une France partagée entre méfiance et acceptation face aux risques du nucléaire. À l’époque, avec l’industrialisation massive de la production d’électricité par EDF, 90 % des réacteurs prévus par le plan Messmer sont déjà entrés en service. Mais la question de la gestion des déchets ultimes n’a pas été réellement anticipée. Et les géants du secteur doivent alors trouver un exutoire pour ce gros caillou dans leur chaussure : les déchets à haute activité et à vie longue, que l’on ne sait pas retraiter.

Dès 1987, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), alors une branche du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), étudie l’argile de l’Aisne, le granit des Deux-Sèvres, la couche de sel de l’Ain et le schiste du Maine-et-Loire comme autant de sites favorables à l’enfouissement. Les géologues envisagent de créer un centre dès l’année suivante, pour une mise en exploitation six ans plus tard, avec l’aide des préfets.