Fin d’après-midi à Fontainebleau. Il fait chaud. Au Centre national des sports de la défense, les chants militaires résonnent, les gendarmes déambulent. C’est ici qu’est basé un des pôles « espoirs » de l’athlétisme français. Carolle Zahi, jambes arquées, épaules carrées et deux petites couettes sur la tête, quitte le bâtiment où se trouve sa chambre, passe devant la cafétéria, le terrain Michel-Platini, puis entre dans le complexe sportif caporal Alain-Mimoun. Un orage menace, elle s’entraîne aujourd’hui en salle. Son entraîneur lui reproche gentiment son retard. Ce n’est pas tout à fait l’armée mais la rigueur est de mise pour les athlètes d’Alex Ménal. Les coéquipiers de Carolle Zahi ont déjà commencé à s’échauffer, ils s’approchent pour la féliciter. La coureuse de 23 ans vient de réaliser les minima sur 100 m. À Londres, Carolle Zahi représentera la France aux championnats du monde outdoor, du 4 au 13 août. Ce seront ses premiers. L’occasion de mettre à profit ses sept années de travail, de joies et de lignes droites mais aussi de souffrances et de désillusions. Celle également de trouver un tremplin vers de meilleures performances, plus de notoriété et de revenus. Les Jours ont choisi de suivre le quotidien de cette jeune athlète à la veille d’une grande compétition et de s’intéresser aux 11 secondes d’un 100 m femmes et au monde qui les entoure.
Petite, on m’encourageait à faire du sport mais ça ne m’intéressait pas. Moi, ce que je voulais, c’était juste battre les garçons.
À Montreuil, le 1er juin, elle a battu son record personnel pour sa quatrième sortie de l’année et couru en 11 s 18, temps imposé par la fédération française pour participer aux mondiaux. « Pour moi, c’était le jour J, raconte Carolle Zahi. Je sentais que ça allait se faire. À l’approche d’une compétition, j’ai tendance à stresser mais pendant mon échauffement, mon entraîneur m’a encouragée et mise en confiance, j’étais vraiment détendue. » Malgré la présence de la Bulgare Ivet Lalova-Collio, vice-championne d’Europe en titre et qui détient un record en 10 s 77, Carolle Zahi s’impose. « Je ne pars pas super bien. Mais mon premier appui ne me pénalise pas pour le reste de la course et je réussis à accélérer. Sur les quarante derniers mètres, où j’ai l’habitude de faiblir au niveau du rythme, je vais beaucoup plus vite. L’important, c’était de ne pas craquer dans les dix derniers mètres où je suis souvent rattrapée par les autres. » Pas cette fois.
Arrivée de Côte d’Ivoire à 9 ans, Carolle Zahi n’avait pas imaginé un tel destin. Timidement mais d’une voix grave, maîtrisant toujours ses propos voire en les corrigeant, elle revient sur son parcours à Trappes, Toulouse puis Fontainebleau. « Petite, on m’encourageait à faire du sport mais ça ne m’intéressait pas. Moi, ce que je voulais, c’était juste battre les garçons. » Pourtant, ses profs au collège la poussent à essayer. En vain. Ce n’est qu’en seconde qu’une de ses amies arrive à la convaincre de venir participer à un entraînement. « Je suis arrivée dans une période où c’était du travail foncier [de l’endurance, ndlr] alors que je m’attendais à entrer dans les [starting] blocks et tout exploser. J’étais déçue. »
Elle lâche l’affaire mais Jérôme Gaby, prof d’EPS dans son lycée à Toulouse, cerne son potentiel et insiste pour qu’elle se mette au sprint. « Elle allait plus vite que les meilleurs garçons mais surtout, c’était beau à voir la façon dont elle courait. » Chez certains sportifs, la coordination des mouvements relève de l’esthétique. À la fin de son année de seconde, Carolle Zahi finit par craquer et rejoint le Stade toulousain athlétisme. Jérôme Gaby y a des contacts et négocie pour que sa licence – une grosse centaine d’euros – soit prise en charge par le club, sa famille ne pouvant se permettre la dépense.

Dès les premières courses, les chronos chutent mais le prof d’EPS imagine déjà autre chose pour sa protégée. « Le contexte au club n’était pas idéal, il y avait des rivalités entre les entraîneurs. C’était aussi compliqué pour Carolle de s’entraîner le soir car elle devait garder son frère. » Alors que la lycéenne n’a jamais envisagé de faire une carrière professionnelle, il lui propose de trouver une structure capable de l’accueillir en sport-étude. « Mes parents voulaient remonter vers Paris et puis on est tombés sur le pôle de Fontainebleau. » Sa mère, Justine Bribeau, n’est pas vraiment convaincue par la voie qu’emprunte sa fille. « Au début, je faisais tout pour la décourager. Elle était déjà musclée et j’avais peur que le sport la rende moins féminine. Et puis je voulais qu’elle fasse des études. Mais au bout d’un moment, je me suis rendu compte qu’elle aimait ça et qu’elle évoluait, donc j’ai voulu l’aider et l’encourager. »
Malgré cela, les débuts à Fontainebleau, en Seine-et-Marne, sont difficiles pour Carolle Zahi, 18 ans à l’époque. « De l’extérieur, on se dit “c’est trop bien”, sauf que derrière, ça inclut beaucoup de sacrifices, je ne m’étais pas forcément préparée. » Elle qui a toujours été une bonne élève se lance dans des études de droit, puis de communication mais n’arrive pas à les concilier avec le sport. Ses résultats universitaires ne suivent pas, son investissement sportif baisse. Elle loupe des entraînements et ses chronos stagnent. « Je voulais être forte sans m’entraîner. »

Carolle Zahi a même pensé à arrêter l’athlétisme. Mais Alex Ménal, son coach, ne la lâche pas. « J’ai vu qu’elle avait des qualités mais elle ne voulait pas vraiment bosser, explique-t-il. Pendant bien trois ans, j’ai lutté, lutté pour lui faire comprendre que le jour où elle s’entraînerait normalement, en doublant les séances, en étant à l’heure à l’entraînement, ça changerait tout. » En 2015, sa persévérance finit par convaincre Carolle Zahi, qui abandonne ses études pour se consacrer entièrement à l’athlétisme. « Il y a cru dur comme fer et à partir de là, je me suis dit qu’il fallait que je fasse l’effort de m’entraîner sérieusement et de m’investir. »
Dès l’hiver 2016, son travail paye et « Zaïzaï », comme la surnomme son coach, est sacrée championne de France en salle sur 60 m en 7 s 18. Simultanément, l’athlète a demandé la nationalité française, appuyée par la fédération. « J’ai grandi ici. C’était naturel pour moi. Et puis j’étais dans un groupe où une bonne partie des gens représentait déjà l’équipe de France. » Mais un problème administratif lié à sa nouvelle nationalité perturbe sa préparation pour les championnats du monde en salle à Portland, où elle se fait sortir dès les séries.

À l’époque, Carolle Zahi peut légitimement espérer participer aux Jeux olympiques de Rio, mais l’athlète est touchée à la cuisse : aponévrose à l’ischio gauche. Puis fissure du cartilage au genou. « Je venais de battre mon record et je me blesse juste avant les grosses compet’ qui m’auraient peut-être permis de réaliser les minima pour les JO… » Elle s’envole toutefois pour Rio avec l’équipe du 4 x 100 m, mais l’encadrement de l’équipe de France la juge insuffisamment remise et ne l’aligne pas lors des séries. Son genou va prendre du temps à guérir. Alex Ménal lui conseille alors de ne pas faire la saison en salle à l’hiver 2017 pour se préparer en vue des championnats du monde d’été. Malgré son envie de reprendre, la sprinteuse patiente.
Dès sa deuxième course du printemps, elle réalise 11 s 20, à deux centièmes des minima qu’elle finit par décrocher à Montreuil. « À partir du moment où elle a bien travaillé l’hiver, j’étais sûr qu’elle irait très vite », explique son entraîneur. Pour Patrice Gergès, le directeur technique national, « le poids des blessures en moins, elle réalise ce qu’elle devait déjà réaliser l’année dernière ».
Avec les championnats du monde de Londres en ligne de mire, Alex Ménal souhaite que son athlète procède étape après étape. Ce week-end à Lille, elle participe aux championnats d’Europe par équipes. « Le but est de respecter les phases de courses. Si elle le fait, elle peut descendre en dessous des 11 s 10 », ose son entraîneur. Un objectif que relativise Carolle Zahi, malgré ses récentes bonnes dispositions à l’entraînement. « Je n’aime pas trop annoncer des chronos. Cette compétition sera déjà importante car elle me permettra de me frotter aux grandes. Après si ça se passe bien, pourquoi pas être dans les trois premières. » Prudente, elle s’approprie peu à peu le discours médiatique en même temps qu’elle progresse sur la piste.
Mis à jour le 24 juin 2017 à 14h54. Lors des championnats d’Europe par équipes qui se déroulent ce week-end à Lille, Carolle Zahi a remporté la finale avec un temps de 11 s 19. Vendredi, elle avait déjà fini première de sa série (11 s 34) après un bon départ. Si elle n’a pas battu son record, elle décroche tout de même sa première victoire dans une grande compétition internationale.