Comme la victoire de François Fillon à la primaire de la droite, personne ne l’avait vu venir. Les révélations du Canard enchaîné sur la rémunération de sa femme, Penelope Fillon, comme assistante parlementaire ont obligé le candidat à la présidentielle à sortir de sa réserve habituelle et à bouleverser sa communication. Désormais, François Fillon tente – difficilement – de limiter la casse. Au lendemain de l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet national financier, il s’est livré à un exercice de communication de crise sur le plateau du 20 Heures de TF1, qui n’était pas sans rappeler des prédécesseurs célèbres, tels les ex-ministres Dominique Strauss-Kahn, Jérôme Cahuzac ou Hervé Gaymard. Pour tenter de couper court à l’effervescence médiatique, François Fillon a notamment promis de se retirer de la présidentielle en cas de mise en examen. Dénonçant ceux qui veulent l’« abattre », il a toutefois considéré que l’affaire le « renforçait ». Vive la crise ? Ça tombe bien, celle qui dirige la communication de sa campagne, Anne Méaux, est une spécialiste de la com de crise. Elle a travaillé sur des affaires retentissantes comme celle du Mediator, du côté du laboratoire Servier, sur l’affaire Kerviel, pour défendre les intérêts de la Société générale, ou encore l’affaire Bettencourt, pour le compte du ministre du Travail de l’époque, Éric Woerth. Souvent présentée comme la grande prêtresse de la com, elle est la patronne d’Image 7, conseille de nombreuses entreprises du CAC 40 et plusieurs grands patrons (François Pinault, Martin Bouygues…) Sa dernière campagne remonte à celle de Valéry Giscard d’Estaing, en 1974. Cinq ans plus tard, elle assiste à la gestion de la crise des diamants de Bokassa, en direct de l’Élysée, où elle officiait comme attachée de presse.
Avec François Fillon, Anne Méaux était partie sur une campagne aux enjeux plus simples. Un « grand rassemblement » était prévu ce dimanche, Porte de la Villette, à Paris. Lors de cet événement, les équipes de François Fillon espéraient relancer une campagne laborieuse depuis sa victoire, le 27 novembre 2016, à la primaire de la droite. Le meeting avait aussi été conçu comme une contre-programmation, destinée, quelques heures avant le dénouement de la primaire de gauche, à occuper l’espace médiatique. Il l’occupera sans aucun doute, mais pour d’autres raisons.
Au pied du mur, François Fillon doit forcer sa nature. En matière de communication, l’ancien Premier ministre a toujours prôné une grande retenue. Au risque, parfois, de disparaître des radars – ce qu’il apprécierait peut-être aujourd’hui. Au début de l’année 2016, il était le grand oublié des médias dans les prémices de la primaire de la droite. Une tendance qu’il a progressivement réussi à inverser avec l’aide de ses deux communicantes, Anne Méaux et Myriam Lévy, arrivées au printemps pour reprendre en mains sa stratégie. Patiemment, pendant cette primaire, elles vont mettre en avant l’image d’un candidat honnête et droit, à l’opposé d’un Nicolas Sarkozy, sous le coup de plusieurs procédures judiciaires, mais aussi d’un Alain Juppé condamné dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris en 2004. Cette image, François Fillon l’a forgée depuis ses débuts en politique, jouant la carte du candidat intègre, dans un contexte de décrédibilisation croissante de la classe politique. Grâce aux deux femmes, il va se montrer plus agressif sur ce créneau. Au début du mois d’avril, devant un millier de ses soutiens rassemblés dans un hôtel parisien, il lançait, plein de mordant : « Je ne suis pas le candidat de la revanche, je ne suis pas le candidat du consensus. Je viens sérieusement casser la baraque pour la reconstruire autrement. » La démonstration de force fut suivie d’un plan média, résolument offensif. Dans une interview au Monde daté du 9 avril, il estime alors qu’« il sera très difficile pour Sarkozy de se présenter » à la primaire. À la rentrée 2016, il lance une autre petite phrase assassine à l’endroit de l’ex-président de la République : « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » Cette semaine, sur les réseaux sociaux, certains se sont empressés de lui renvoyer la formule en boomerang : « Qui imagine Yvonne de Gaulle occupant un emploi fictif ? »
Après la primaire, la campagne de terrain de François Fillon a souvent été mise en avant, en particulier par son entourage, comme la raison principale de sa victoire. En réalité, François Fillon a bénéficié d’un gros travail de com pour faire décoller sa candidature. D’une part, ses communicantes l’ont poussé à se dévoiler. Après sa participation à l’émission de Karine Le Marchand, Une Ambition intime, sur M6, sa femme, Penelope, a été mise en scène lors d’un meeting au palais des Congrès à Paris. Mi-novembre, elle participait à un point presse avec l’équipe de campagne de son mari pour présenter les propositions du groupe qu’elle parraine, « Les femmes avec Fillon ». Loin de se douter des turpitudes à venir.
D’autre part, le principal axe de campagne de François Fillon a tenu en un mot, martelé dans ses prises de parole : la « probité ». « On a une dégradation de la vie publique. Il y a un problème de probité et de fonctionnement de nos institutions. Un problème de probité partout. Vous avez des ministres qui ne paient pas leurs impôts, vous en avez qui ont des comptes en Suisse, vous avez 18 millions à l’UMP qui ont disparu et que personne n’a jamais retrouvés », déclarait-il, par exemple, le 29 août 2016, sur BFMTV. Le 19 janvier dernier, lors d’un déplacement dans l’Ain, il lançait encore : « Mon projet perturbe les castes bien établies. Tous ceux qui, au fond, profitent du système. Tous ceux qui veulent conserver leur pré carré. » L’affaire de l’emploi supposé fictif de sa femme a anéanti l’image de candidat vertueux bâtie patiemment depuis plus d’un an par Anne Méaux.
Persuadée qu’il a un destin de président de la République, elle mise sur François Fillon depuis plusieurs années. Ils s’étaient beaucoup croisés sous le gouvernement Raffarin, dans la première moitié des années 2000. Lui est alors ministre des Affaires sociales, puis de l’Éducation nationale, elle, conseillère du Premier ministre, après une carrière qui l’a vue travailler avec plusieurs politiques, tendance libérale, comme Alain Madelin ou Hervé Novelli, mais aussi Rachida Dati ou l’ancien dictateur tunisien, Ben Ali. Avec Fillon, ils ont collaboré pour la première fois ensemble lorsqu’Image 7 était « boîte à idées » de la réforme des retraites du Premier ministre, en 2010. L’agence avait pour mission de « vendre » cette réforme aux Français. Accessoirement, au même moment, Anne Méaux conseillait… la présidente du Medef, Laurence Parisot.
La communicante a commencé à travailler sa candidature à la présidentielle il y a trois ans, d’abord de façon discrète, en organisant des dîners avec des chefs d’entreprise dans son hôtel particulier du XVIIe arrondissement parisien, qui abrite aussi les locaux d’Image 7. L’entregent est sa marque de fabrique, elle n’aime rien tant qu’ouvrir son carnet d’adresses à ses clients les plus importants. Pour la présidentielle, elle est accompagnée de sa collaboratrice, Myriam Lévy, consultante et membre du comité de direction d’Image 7. L’ancienne journaliste, passée par l’Agence France Presse, Le Parisien ou Le Figaro a repris, elle aussi, du service auprès de François Fillon : elle fut sa conseillère en communication à Matignon, de 2007 à 2012. L’équipe est rodée et connaît son sujet.
Dans leur entreprise pour façonner l’image de François Fillon, les deux femmes ont dû composer avec un candidat qui entretient des rapports compliqués avec les journalistes. Et pratique « l’anti-communication », selon les termes de Jean de Boishue, qui fut son conseiller à Matignon. Cet ancien secrétaire d’État de l’Enseignement supérieur sous Chirac connaît François Fillon depuis plus de trente ans. Pendant le quinquennat Sarkozy, il a endossé le rôle d’explication de l’action du Premier ministre, François Fillon refusant de se prêter au jeu des journalistes. Son attachée de presse, Myriam Lévy, les tenant à distance à la demande de son patron. Le conseiller reconnaît volontiers que la communication de François Fillon est « étrange ». « La presse imagine toujours qu’on veut absolument lui laver la cervelle, que les politiques n’ont qu’une peur, c’est d’avoir un mauvais papier, qu’il faut entretenir une espèce de relation fusionnelle avec vingt journalistes pour pouvoir s’installer comme un politique de premier plan. Ça, il n’y croit pas. En tout cas, il ne peut pas le faire, il ne sait pas faire. Pour lui, les journalistes, ce ne sont jamais que des gens qui écrivent des articles. »
Fillon nous assèche, il ne lâche rien, ne fait pas de “off”, à tel point qu’on se demande parfois quel angle de papier proposer.
La preuve en a une nouvelle fois été donnée le 3 janvier dernier, à Paris, dans le XIXe arrondissement. C’est jour de rentrée pour le candidat qui a choisi de visiter un centre Emmaüs pour sa première sortie de l’année. Le long d’un parcours très balisé entre meubles, fripes et plantes vertes, face à des interlocuteurs triés sur le volet, le candidat écoute et parle peu. À l’exception d’une déclaration devant micros et caméras : « Lorsque j’étais enfant, j’ai accompagné mes parents qui étaient parmi les créateurs du premier centre Emmaüs au Mans. » Ce sera sa seule confidence de la matinée. « Vous allez nous voir souvent », lui lance une journaliste à la fin de la visite. La réponse est glaciale, malgré un sourire de façade : « Oui, merci. » Puis François Fillon quitte les lieux sans dire au revoir. Pour ses vœux à la presse, une semaine plus tard, au premier étage de son grand QG situé dans le XVe arrondissement de Paris, le ton était là encore à la plus grande sobriété. L’allocution n’a duré qu’un petit quart d’heure. François Fillon s’est plié à l’exercice rituel, mais en appliquant le service minimum. « Vous devrez faire en 2017 avec ma réserve et avec mes sourcils broussailleux. Dur travail », a-t-il fait mine de plaisanter. Les journalistes ont été prévenus – beaucoup connaissaient déjà son style sans artifices. « Fillon nous assèche, il ne lâche rien, ne fait pas de “off”, à tel point qu’on se demande parfois quel angle de papier proposer à nos rédacs chefs », déplore une journaliste d’une radio nationale.
L’image de François Fillon a souvent été qualifiée de « terne » et son manque de charisme pointé du doigt. « Mr Nobody » ou encore « Droopy » font partie des sobriquets qui collent aux semelles du candidat, hérités des cinq années passées dans l’ombre de l’hypercommunication sarkozyste. Lors de ses vœux aux Français adressés dans une vidéo mise en ligne, le 31 décembre dernier, il est apparu mal à l’aise, assis devant une bibliothèque, chez lui dans la Sarthe. Pas vraiment conforme à l’image d’un futur président de la République. Face à ces contre-performances et ces raideurs, son entourage vante un homme discret. « Il a de la tenue, quelque chose de provincial, qui s’habille le dimanche et sait se tenir. En politique, ça a disparu depuis longtemps et les Français cherchent ça », estime l’un de ses soutiens. « Certains privilégient la forme sur le fond, ce n’est jamais le cas avec François Fillon », assurait son directeur de campagne, Patrick Stefanini mi-janvier. Avant d’évoquer la sacro-sainte « authenticité » dont tous les communicants se réclament désormais, après des années d’excès. « Sa victoire à la primaire démontre qu’il a eu raison, insiste Jean de Boishue. Quand il parle, il dit ce qu’il pense. Et sa retenue plaît aux Français. » À se demander, alors, pourquoi son organigramme de campagne comprend autant de communicants…
Ils sont nombreux à y figurer, sans compter ceux qui n’apparaissent pas officiellement. Les équipes de com ont été renforcées avec des recrues venues des staffs de campagne d’autres candidats à la primaire. Au contact des journalistes, son attachée de presse, Caroline Morard travaille en tandem avec Dimitri Lucas. La première, chevelure blonde et ligne svelte, est une fidèle. Elle a rejoint François Fillon à sa sortie de Matignon et s’est montrée très active sur les réseaux sociaux pendant la campagne pour la présidence de l’UMP, à la fin de l’année 2012. Elle s’est taillée une place de choix dans l’équipe du candidat. Dimitri Lucas est arrivé au début du mois de janvier dans la campagne, après avoir accompagné Bruno Le Maire. Dans ses costumes cintrés, il se déplace le plus souvent d’un pas aussi pressé qu’assuré. Ce pro de l’organisation de déplacements a déjà occupé ce poste pendant la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, puis à l’Élysée. Effectuer les repérages en amont, préparer les images officielles, organiser les pools de presse, ces tâches n’ont pas de secrets pour lui. À la même période, la conseillère presse de Nathalie Kosciusko-Morizet, Aurore Longuet, fille de Gérard, a commencé à s’occuper des demandes des journalistes pour les six porte-parole de la campagne : Thierry Solère, Isabelle Le Callennec, Benoist Apparu, Florence Portelli, David Lisnard et Philippe Vigier. Ce sont eux qui portent les argumentaires du candidat dans les médias. Tous les mardis matins, ils se réunissent pour caler les éléments de langage de la semaine, en présence notamment d’Anne Méaux et de Myriam Lévy.
D’autres communicants évoluent plus en marge de la campagne ou à des postes plus surprenants. Olivier Jay, aujourd’hui associé au sein de l’agence Brunswick, figure dans l’organigramme thématique. L’ancien directeur de la rédaction du Journal du dimanche est consulté depuis de nombreuses années par François Fillon. Ce spécialiste des questions religieuses, qui a été conseiller des relations extérieures du cardinal Lustiger, est coresponsable de plusieurs thématiques : laïcité, mais aussi culture et audiovisuel. La semaine dernière, l’ancien PDG d’Axa, Henri de Castries, a défendu le candidat Fillon sur RTL et dans une interview au Figaro. Dans les studios de la radio de la rue Bayard, on pouvait apercevoir Michel Calzaroni, le dirigeant de l’agence DGM, grand rival d’Anne Méaux – Henri de Castries est l’un de ses clients historiques. Pour un candidat qui n’aime pas la com, François Fillon est bien pourvu en conseillers de tous horizons.
À part Michel Calzaroni, aucun n’a l’expérience d’Anne Méaux en matière de com de crise. Il y a deux semaines, lorsqu’on demandait à la communicante quel rôle elle jouait auprès du candidat Fillon, elle répondait : « Je veux être une facilitatrice, l’aider à se faire mieux connaître. » Depuis mardi, elle a orchestré une communication visant à déminer l’affaire, désormais dans les mains de la justice. Mais la com continue : Penelope Fillon sera au meeting de son mari demain et devrait s’exprimer la semaine prochaine dans les médias pour, selon le fameux « entourage », « défendre son honneur ».