Cela se passe au 4e bureau, l’une des salles de réunion du Palais-Bourbon. Danièle Obono, ainsi qu’un autre député de La France insoumise, Ugo Bernalicis, élu dans le Nord, sont les hôtes. On reconnaît les quelques visiteurs du dehors à leur badge jaune plastifié, clippé à leur veste. Militants, experts (ou les deux), ils font partie de ceux qui, pendant la campagne présidentielle, se sont portés volontaires pour rédiger une quarantaine de « livrets thématiques » – sur les migrants, les droits LGBT, la justice… – qui déclinaient « L’avenir en commun », du nom du programme de La France insoumise. Cette matinée d’échanges où tout le monde se tutoie raconte bien la méthode singulière du mouvement. Obsédée par la circulation des idées et des propositions entre l’intérieur du Parlement et l’extérieur, Danièle Obono me précisera l’intérêt de ces va-et-vient : « Les livrets rédigés pendant la campagne permettent d’anticiper les grands projets de loi et facilitent le travail des collaborateurs. On peut utiliser cette matière ici, à l’Assemblée, en s’appuyant sur la production des copains. Et puis aussi voir comment ça se traduit dans le mouvement, en actions sur le terrain. » À côté des « copains », les deux nouveaux députés, bien déterminés à rendre leur mandat utile, sont accompagnés de leurs collaborateurs parlementaires, ordinateur ou smartphone devant eux, aux aguets pour transformer ce travail citoyen en amendements ou en propositions de loi.
Les recommandations précises issues des « mobilisations citoyennes » alimentent le boulot des parlementaires, qui, lui, rejaillit sur les Insoumis. Tout se nourrit dans un écosystème politique cohérent. Avec une ligne d’horizon : la prise de pouvoir. Cela peut prêter à sourire pour un groupe minoritaire à l’Assemblée nationale composé de seulement 17 élus sur 577, mais dans la salle personne n’émet de doute. Danièle Obono le formule peut-être moins que d’autres mais La France insoumise se place dans l’optique d’une arrivée aux affaires en 2022. À entendre ces militants, cela n’a rien d’évanescent ou d’hypothétique, c’est concret, ça s’organise ; ils y croient profondément, semble-t-il. En tout cas, ils s’y préparent. « On n’est pas à l’Assemblée pour faire les trolls : il y a une alternative à proposer, me dira aussi un collaborateur du groupe, l’air sérieux et convaincu. Comment on le traduit ? Et pour l’après ? »

Juge d’instruction à Créteil, engagée à gauche depuis des années, Hélène Franco sourit d’une oreille à l’autre : « C’est la première fois que je viens à l’Assemblée nationale depuis que nous avons un groupe. On parle de la déprime de Mélenchon, mais moi, j’ai la banane, je suis fière de voir des camarades actifs, solides. » Elle ajoute : « Quand on a été habitués à la disette politique et qu’on a l’impression de pouvoir peser un peu, on est contents. » La magistrate, ancienne secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, a codirigé le groupe de travail qui a rédigé le livret dédié à la justice.