Lyon, envoyée spéciale
Onze ans ont passé et la chirurgie réparatrice a fait des miracles. Le visage de Maud Caretta, encadré de longs cheveux blonds, ne garde plus trace de ses fractures à l’orbite et au nez. Pourtant, son œil gauche est foutu, l’obligeant à porter des lunettes parce que le droit se fatigue. La pédopsychiatre de 34 ans a subi une dizaine d’opérations, en partie perdu l’odorat et le goût. Le 16 mai 2007, au soir de l’investiture de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, Maud Caretta a été blessée par une grenade de désencerclement lancée par la police grenobloise, chargée de disperser les rassemblements « d’extrême gauche ». Étudiante en médecine à l’époque, Maud Caretta ne manifestait pas. À vrai dire, elle n’était même pas au courant. Sortie boire un verre avec une amie, elle s’est juste retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment, devant une parfumerie du centre-ville.
Ce lundi 8 octobre, quatre policiers devaient répondre de « blessures involontaires » devant le tribunal correctionnel de Lyon. Il est reproché au plus gradé d’entre eux, le commissaire Jean-Paul V., de ne pas avoir procédé aux sommations obligatoires avant d’ordonner l’usage de la force contre une vingtaine de personnes regroupées. Les trois autres fonctionnaires ont reconnu avoir lancé chacun une grenade, sans que l’enquête ait permis de déterminer laquelle a atterri dans l’œil de Maud Caretta : l’une des leurs, ou celle d’un hypothétique quatrième tireur – qui n’a pas été retrouvé parmi les nombreux policiers à proximité. Après de nombreuses péripéties, la justice a estimé que les prévenus étaient coresponsables, sans que l’on puisse déterminer lequel avait blessé la jeune femme. La jurisprudence le permet, mais c’est rare. Comme le souligne le président du tribunal, Raphaël Vincent – ton chaleureux et pédagogique, faux airs de Manuel Valls –, cette affaire a connu « un cheminement procédural très exceptionnel ». Plusieurs non-lieux, deux arrêts de la Cour de cassation, un dépaysement à Lyon… Si ce procès finit par se tenir, c’est parce que Maud Caretta, défendue depuis le début par l’avocat grenoblois Hervé Gerbi, a utilisé tous les recours à sa disposition.

L’ambiance au tribunal est étonnamment détendue. Personne n’a voulu politiser l’atmosphère. La victime, accompagnée par son père, son compagnon et des amis, est souriante. Les policiers, âgés de 54 à 64 ans, expliquent que leur carrière n’a nullement pâti de cette histoire.