Parce qu’on ressent aussi le besoin de souffler un moment au milieu de l’actualité étouffante de cet entre-deux-tours, « Les Jours » vous proposent chaque jour une chanson à danser en ne pensant à rien d’autre. Éteignez la télé et la radio, jetez votre téléphone dans un coin et poussez le canapé. C’est l’heure de la discolution.
« Harlem Shuffle », de Vigon (1967)
Voici une chanson de danse sur la danse, taillée pour secouer la jeunesse rock’n’roll des sixties. Harlem Shuffle date de 1963 dans une première version langoureuse signée et chantée par les Américains Bob & Earl, mais c’est un Marocain de France qui a signé son interprétation la plus électrique et irrésistible. À vrai dire, Vigon a dû entendre la reprise signée quelque temps plus tôt par The Foundations en Grande-Bretagne pour fabriquer la sienne, mais c’est lui qui l’emporte par la furie qu’il y met. Abdelghafour Mouhsine, 78 ans aujourd’hui, est un héros méconnu des années yéyés en France, une bête de scène qui fit les premières parties de Johnny Hallyday comme des stars américaines de passage. Un gars de confiance à qui l’on pouvait confier une salle entière, qu’il rendait chauffée à blanc avec un mélange de soul romantique et de brûlots rythmiques qui faisaient hurler les adolescentes.
Harlem Shuffle était son sommet dans le genre, avec son motif de guitare insistant, ses trompettes qui surgissent en meute pour faire exploser le morceau à plusieurs reprises et son mode d’emploi apparent : bougez à gauche, bougez à droite, grattez-vous comme un singe. On était là pour s’amuser et oublier les tensions d’une société qui ne voulait toujours pas prendre en compte les revendications de la jeunesse. Dans ce moment-là, Vigon était en même temps Sam Cooke et James Brown, en pantalon moulant et banane gominée, un roi maghrébin des débuts du rock à la française que l’histoire officielle de ces années-là laisse trop souvent de côté. Et pourtant, Vigon avait le feu.