DJ Manny, Hypnotised (Planet Mu, 2023)
C’est pas mal l’amour. Déjà, ça permet de faire des économies de chauffage la nuit et de moins dépendre du gaz russe, donc un peu de faire chier Vladimir Poutine. Mais c’est aussi un moteur inépuisable de la musique jusque dans des recoins que l’on n’imagine pas forcément parler de ça. C’est le cas d’un DJ américain qui a frôlé de près le fossé viriliste : DJ Manny, Manuel Gaines à l’état civil, né à Chicago il y a vingt-trois ans et installé à New York depuis quelques années. C’est là qu’il vit avec la productrice et DJ Sucia!, celle qui a changé sa façon de voir le monde et de faire de la musique, et habite le nouvel album de DJ Manny
Né en 1990, DJ Manny est un pur enfant de la scène électronique de Chicago des années 2000, celle qui est passée de l’acid house à la ghetto house en se répandant dans les quartiers pauvres (et noirs) de la ville, jusqu’à la juke puis au footwork. Dans ces deux musiques sœurs qui tiennent autant de la filiation électronique que du free jazz pour leur recherche formelle permanente et leur rugosité de façade, tout accélère et se met à tournoyer jusqu’à l’épuisement des corps. C’est une musique de l’accélérationisme, ce courant de pensée qui veut pousser le capitalisme jusque dans tous ses excès pour, au choix, le détruire de l’intérieur ou le voir avaler chaque recoin de la planète dévastée. Le footwork propose de faire cela en dansant sur un tempo très rapide fixé à 160 BPM, sur des samples vocaux hachés très fins et des basses qui essayent de défoncer tous les murs. C’est une musique farouche née pour défier les danseurs dans des battles qui se pratiquent avec le bas du corps uniquement, dans une frénésie qui renvoie au shuffle des esclaves noirs américains et aux claquettes du début du XXe siècle. La juke et le footwork sont longtemps restés un secret bien gardé de quartiers de Chicago où les touristes ne mettent pas les pieds, jusqu’à ce que les réseaux sociaux ne fassent circuler des vidéos des block parties hallucinantes qui se tenaient là-bas. Il n’en fallait pas plus pour qu’un label tout ce qu’il y a de plus britannique et jusqu’ici ancré dans l’avant-garde de chambre, Planet Mu, ne se saisisse de cette génération américaine surgie de nulle part. Ça se passait dans deux compilations nommées