Beth Gibbons, Lives Outgrown (Domino Records, 2024)
Dans le monde de Beth Gibbons, les jours n’existent pas. Tout est long, lent, tourné et retourné, poli jusqu’à devenir un élément du quotidien qui semble avoir toujours été là. C’est ce que raconte toute sa discographie chétive mais irréprochable depuis 1994 : trois albums avec Portishead, un duo avec Rustin Man, un enregistrement de la Symphonie numéro 3 de Górecki et un nouveau disque sous son seul nom tout juste de sortie, Lives Outgrown. On peut faire le tour de tout ça dans une matinée, mais prévoyez plutôt une vie entière, tant chacune de ces sorties compresse les émotions dans une densité qui ne se sonde que sur le temps long.
C’est comme cela que Lives Outgrown, qui éclate immédiatement comme un nouveau classique, a grandi lentement dans la vie de Beth Gibbons ces dix dernières années. Le temps pour elle qui a construit sa vie musicale en marge de tout, repliée en famille dans son bout de campagne près de Bristol, de voir ses idées et sensations prendre racine. Le temps, surtout, de trouver le son qui donnerait du sens à cet album très intériorisé. C’est ce que la chanteuse, aujourd’hui âgée de 59 ans, a toujours fait dans sa vie de fille d’agricultrice qui l’a élevée seule avec ses trois sœurs. Elle n’a quitté ce cocon terrien qu’à 22 ans pour la « grande ville » d’Exeter, puis Bath et enfin Bristol, vivant de petits boulots tout en chantant Janis Joplin dans les pubs.