Luzmila Carpio, Inti Watana - El Retorno del Sol (ZZK Records, 2023)
La Bolivienne Luzmila Carpio est une héroïne discrète de la musique sud-américaine, et c’est un plaisir de la retrouver dans un album de nouveaux enregistrements – son premier depuis vingt ans, carrément. Mieux, ce retour n’est pas vide de sens, lancé sur un label qui remue la poussière du folklore musical quechua qu’elle représente depuis les années 1970 : Inti Watana est un disque de chansons d’aujourd’hui, produit par l’Argentin électronique Tremor pour le label ZZK (prononcez « Zizek »), précieux lieu de rencontres tradi-modernes émergé à la fin des années 2000 à Buenos Aires, au meilleur de l’ère des blogs mp3.
La chanteuse dont on parle aujourd’hui a bientôt 70 ans et déjà eu plusieurs vies. Luzmila Carpio a grandi dans le village de Cala Cala, quelque part sur l’Altiplano, les plaines arides et venteuses des Andes. Son apprentissage musical est rural : des chansons sans âge qui racontent la nature et des histoires de dieux qui remontent aux empires des Incas ou des Tiwanaku avant eux. La gamine chante bien et sa voix qui monte facilement dans les aigus lui permet de rivaliser avec les oiseaux, qui sont déjà pour elle une source d’inspiration majeure. Puis elle apprend à s’accompagner au charango, une petite guitare à cinq cordes doublées profondément ancrée dans la région, qui donne une pulsation hypnotique à des chansons qui servent de mémoire autant que de rythme pour les travaux des champs – comme dans beaucoup de traditions populaires. Sa carrière commence dans une émission de radio itinérante où des enfants viennent chanter… et qui la recale parce qu’elle ne le fait pas en espagnol. La Bolivie est alors lancée dans une campagne d’effacement des différences régionales au profit d’une culture unique, que la jeune Luzmila Carpio refuse déjà. Ce qui ne l’empêche pas de revenir chanter plus tard dans la langue nationale, dans une stratégie d’entrisme qui ouvre enfin des portes à sa voix à part. Membre de divers groupes par la suite, qui la font voyager dans son pays et au-delà dès les années 1960 alors qu’elle est encore mineure, elle devient une figure bien connue d’un revival des musiques populaires que l’on trouve alors partout, dans le renouveau folk américain et britannique comme dans le collectage des chansons des régions françaises (lire l’épisode 25 de la saison 1, « Arlt et Malicorne, chansons de fond de terroir »).
Luzmila Carpio
— Photo Nora Lezano.
Elle enregistre ensuite une série de 45 tours dans les années 1970, où elle apparaît en costume traditionnel et cheveux noirs serrés dans des nattes, son charango à la main, qui deviennent des disques recherchés à travers le monde dans une époque en quête de musiques authentiques.