Aux Jours, on aime bien les défis et le dernier en date est tombé sur moi : vous expliquer en quoi consiste le délit chelou qui a motivé l’arrestation, le placement en garde à vue et parfois le procès de nombreux gilets jaunes ces dernières semaines, la « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations ». Prenons le cas très simple d’un gilet jaune jugé pour cette seule raison, ce mardi après-midi au tribunal correctionnel de Paris. Paul D., jeune informaticien au casier vierge, a été arrêté samedi 8 décembre près des Champs-Élysées. Les policiers présents l’ont aperçu, « impliqué dans un groupe de 80 personnes qui cassaient et pillaient ». Attention, ils ne l’ont vu ni piller ni casser lui-même, c’est important pour la suite. Mais sur ce boulevard, des voitures et des distributeurs de billets viennent effectivement d’être dégradés. Lui dit s’être retrouvé là après avoir couru pour fuir une charge de CRS.
Lorsqu’ils fouillent le sac de Paul D., les policiers trouvent des lunettes de piscine, des coudières et du liquide physiologique. Le jeune homme reconnaît sans mal qu’il participait à la manifestation – c’était sa troisième à Paris – et affirme avoir pris ce matériel pour se protéger des lacrymos et des projectiles. Les policiers tombent aussi sur un minicouteau suisse, qu’il dit avoir dans son sac en permanence. Enfin, il porte des gants, dont l’un est troué parce qu’il a ramassé une cartouche de gaz lacrymogène. Rien de tout ça n’est interdit en soi, mais le délit de « participation à un groupement en vue de… » repose justement sur la démonstration d’une intention, étayée par des faits. C’est là toute sa subtilité (et sa fragilité).

Compte tenu de ces premiers indices, Paul D. part pour quarante-huit heures de garde à vue, censées servir à rassembler des preuves. Ces jours-ci, pressés par le temps et pouvant compter sur la bonne collaboration de beaucoup de gilets jaunes novices en matière de droit au silence, les policiers demandent systématiquement à accéder au contenu de leur téléphone portable. Ils espèrent y trouver des vidéos, des photos ou des messages relatifs à la manifestation. On a ainsi croisé, dans les couloirs du palais de justice, une avocate désespérée par son client qui avait écrit par texto à un ami : « J’ai lancé des pavés et je les ai touchés. » Ou vu partir en prison un jeune homme involontairement accablé par le téléphone de son copain de manif.